Decoding the 2023 EFSA Guidance Document

Publié le 15/06/2025

Ecotoxicology

Généralités

Le document de l’EFSA contient les orientations pour évaluer le risque lié : (i) aux substances actives entrant dans la composition des produits formulés appliqués en agriculture conventionnelle ou en agriculture biologique, et (ii) aux produits eux-mêmes dans le cadre des autorisations de mise sur le marché ou de leur réévaluation à échéance. Ce document n’inclut pas dans son champ d’application l’évaluation du risque des produits de biocontrôle à base de micro-organismes (champignons, bactéries…), ni les risques associés aux cocktails de résidus auxquels les abeilles peuvent être exposées sur le terrain.

Le risque est évalué pour une substance active ou un produit formulé dont la composition est connue et qui peut contenir une ou plusieurs substances actives. Pour cela, l’évaluateur détermine d’abord si les abeilles peuvent être exposées et, le cas échéant, quelle est la dose de substance ou de produit qu’elles reçoivent. Si l’abeille est effectivement exposée, l’évaluateur vérifie ensuite si le produit présente un danger, c’est-à-dire s’il provoque des effets néfastes sur les individus ou sur la colonie. L’évaluation proprement dite du risque consiste in fine à comparer la dose reçue par les abeilles aux doses provoquant des effets sur leur santé selon la formule :

Risque = exposition × danger

Évaluation de l’exposition des abeilles

Dans le cas où l’abeille peut être exposée à un ou plusieurs produits, l’évaluateur caractérisera cette exposition en tenant compte du mode d’application des produits : par pulvérisation, en enrobage de semences ou sous forme de granulés, et selon plusieurs scénarios d’exposition possibles (Figure 1).

Différentes conditions d’exposition

Les abeilles peuvent être exposées :

Dans la parcelle, par la culture attractive [1] traitée avant ou pendant la floraison [2], ainsi que par les adventices en fleurs présentes dans la culture et pouvant être contaminées pendant un traitement ;

Dans la parcelle, par la culture suivante implantée, via l’absorption de résidus de produits persistants présents initialement dans le sol puis retrouvés dans le nectar et le pollen des fleurs butinées de la culture suivante ;

Dans les zones environnantes, comme les bordures de la parcelle ou les cultures adjacentes, qui peuvent être des zones de butinage contaminées par dérive.

Différentes voies et durées d’exposition

Le document considère le risque encouru par les abeilles adultes à court terme après contact physique (ex. : pulvérisation de produit) et le risque encouru à court ou à plus long terme par voie orale lors de la consommation de nectar et/ou de pollen contaminés (Figure 1). Le risque pour les larves d’abeilles est également évalué.

Quatre types de risque sont ainsi couverts dans le document (Figure 1) :

    Risque après une exposition aiguë par contact chez les adultes

    Risque après une exposition aiguë par voie orale chez les adultes

    Risque après une exposition chronique par voie orale chez les adultes

    Risque après une exposition chronique par voie orale chez les larves

Il est à noter que le risque lié à l’exposition des abeilles à de la cire ou de la résine contaminée, ou via la consommation de miellat ou d’eau potentiellement contaminés, n’est pas intégré dans le document EFSA car les données sont jugées encore insuffisantes pour quantifier cette exposition.

Figure 1 : Schéma des voies d’exposition des abeilles et des effets possibles sur les individus (schéma traduit du document d’orientation (source : EFSA 2023, DOI : 10.2903/j.efsa.2023.7989)

À partir de ces éléments (conditions, voies et durée d’exposition), le document présente une méthode pour quantifier l’exposition des abeilles aux produits en calculant une dose prédite ("PEQ" en µg par abeille) à laquelle les abeilles peuvent être exposées pour chacun des quatre types de risque. La dose par contact (risque 1) est définie pour les abeilles adultes pouvant être exposées pendant la floraison des plantes, par exemple après la pulvérisation d’un produit à la dose par hectare prévue. Les doses d’exposition par voie orale (risques 2 à 4) sont établies selon trois situations dans lesquelles la contamination peut intervenir : i) avant la floraison de la culture ; ii) pendant la floraison ; iii) via la contamination du sol et l’absorption des résidus par les plantes, retrouvés ensuite dans le nectar et le pollen au moment de la floraison. La pertinence des situations dépend du type de produit, de sa période d’application et du stade de développement de la culture au moment du traitement, ainsi que des différents scénarios d’exposition (Tableau 1).

À l’issue de cette étape, la dose d’exposition prédite calculée présentant la valeur la plus élevée (et donc la plus à risque) parmi tous ces scénarios est retenue pour l’évaluation du risque.

Tableau 1 : Situations d’exposition par voie orale des abeilles en fonction du stade de développement de la culture au moment de l’application du produit et selon les différents scénarios d’exposition du document EFSA. Note : BBCH est une échelle internationale d’identification des stades de développement phénologique des cultures (source : EFSA,; online info session on bee guidance document, 2023).

Évaluation des effets et du risque

Évaluation en laboratoire

Les effets d’un pesticide sont d’abord obligatoirement évalués à partir de tests officiels réalisés en laboratoire dans des conditions contrôlées.

Avec le nouveau document, la mortalité des individus est mesurée sur les larves et les adultes (Figure 2) afin d’établir une courbe dose-réponse (Figure 3).

Figure 2 : Schéma illustrant la méthode du document d’orientation EFSA 2023 pour l’évaluation des effets des produits phytopharmaceutiques sur l’abeille domestique.

Cette courbe permet d’associer la dose d’exposition prédite retenue (PEQ) à un niveau d’effet prédit pour les abeilles, à savoir un pourcentage (%) de mortalité. Par exemple, le graphique ci-dessous définit un effet prédit de 20 % de mortalité associé à une dose d’exposition prédite de 1 µg/abeille (Figure 3).

Figure 3 : Illustration d’une courbe dose-réponse (pourcentage de mortalité) obtenue à partir des résultats des tests de laboratoire (source : EFSA (2023), DOI : 10.2903/j.efsa.2023.7989).

Les effets mesurés sur les individus sont ensuite extrapolés en termes de risque pour la colonie. Pour couvrir toutes les situations, le document retient le pire cas, à savoir celui d’une colonie sans capacité de régulation. Ainsi, les mortalités d’abeilles observées sont directement traduites en pourcentage de réduction de la taille de la colonie. Enfin, l’évaluation du risque se base sur le niveau d’effet global prédit combinant l’ensemble des effets obtenus pour les quatre types de risque.

Chez l’abeille domestique, ce taux global peut être directement comparé au seuil de 10 % de réduction de taille maximum acceptable pour la colonie. Pour les produits phytopharmaceutiques, si ce niveau d’effet global conduit à une réduction de taille de la colonie inférieure ou égale à 10 %, l’évaluation s’arrête à cette étape de tests en laboratoire. Si le niveau d’effet dépasse 10 %, un risque ne peut être exclu et l’évaluation se poursuit avec des tests en conditions réelles.

L’évaluation du risque est plus complexe pour les autres espèces d’abeilles (bourdons et abeilles solitaires) en raison du manque de données sur la toxicité des produits. Le document EFSA propose une méthode par défaut pour extrapoler les courbes dose-réponse obtenues chez les abeilles domestiques aux autres espèces.

Les objectifs de protection (OP) n’étant pas encore définis pour ces espèces, le document de 2023 ne propose qu’une estimation de l’exposition et une définition du risque fondée sur des incertitudes importantes.

Évaluation en conditions réelles

À l’issue de l’évaluation en laboratoire, si un risque ne peut être exclu (> 10 % de réduction de la taille de la colonie), le document demande de réaliser des tests en plein champ, selon une méthode officielle de l’OEPP [3] (Figure 2). Le test consiste à placer des colonies d’abeilles domestiques en vol libre à proximité d’un champ traité avec le produit évalué et d’un autre champ non traité (séparés de 4 km). Les observations consistent à suivre leur comportement et leur développement pendant 42 jours pour couvrir deux cycles de développement. L’hivernage des colonies est également suivi pour les produits dont la toxicité augmente avec le temps. La force ou taille des colonies (nombre d’abeilles adultes) est évaluée avant et après traitement, et la réduction de taille est comparée au seuil de 10 %. Les teneurs résiduelles dans le nectar et le pollen sont également mesurées pour calculer une dose d’exposition moyenne sur l’ensemble des tests réalisés. Cette dose moyenne est comparée à la PEQ calculée en amont pour vérifier que les effets observés sont représentatifs d’une exposition en milieu agricole.

Si une voie d’exposition ou un type de risque domine, des tests spécifiques sont demandés. Par exemple, en cas d’exposition préférentielle des adultes par contact, un test est conduit sous tunnel, ciblant la mortalité des butineuses. En cas de risque élevé pour les larves, un test est mené sur des colonies exposées à du sirop contaminé, avec suivi de la mortalité du couvain (Figure 2).

A l’issue de cette évaluation (Figure 2), un produit phytopharmaceutique ne sera autorisé que si les effets observés sur les abeilles exposées ne sont pas inacceptables. Pour cela, ils devront répondre aux objectifs de protection en n’entrainant pas plus de 10 % de réduction de taille de la colonie.

Les effets sublétaux considérés

L’évaluation des effets dits sublétaux [4] est envisagée dans le document si les tests de laboratoire concluent à un faible risque en termes de mortalité. Un schéma précise quand ces effets doivent être évalués.

Le document prend en compte le comportement de butinage de l’abeille domestique, pour lequel un lien clair est établi avec la taille de la colonie via l’approvisionnement en ressources. En particulier, si un risque de toxicité aiguë par voie orale ne peut être exclu, un test de retour à la ruche est demandé.

Que retenir des principaux changements du document d’orientation EFSA visant à améliorer l’évaluation du risque sur les abeilles ?

• Le document 2023 présente les orientations révisées en matière d’évaluation des risques des produits phytopharmaceutiques sur les abeilles dans les zones agricoles. Il concerne non seulement les abeilles mellifères, mais aussi les bourdons et les abeilles solitaires.

• Des objectifs de protection ont été établis pour l’abeille domestique, ce qui n’était pas le cas dans les lignes directrices encore en vigueur. Ils concernent la taille de la colonie, avec un seuil acceptable de réduction fixé à 10 %, considéré sans risque pour les colonies, et accepté par les États membres.

• Différents scénarios d’exposition des abeilles sont pris en compte, tant au sein de la parcelle (culture, adventices…) que dans les zones environnantes (bordures de parcelle ou cultures adjacentes), pouvant constituer des zones de butinage contaminées par dérive.

• Le document évalue le risque à court terme après une exposition par contact ou ingestion, ainsi qu’à plus long terme après une exposition chronique, chez les adultes et les larves.

• Une PEQ est associée aux niveaux d’effets mesurés lors des tests en laboratoire. Ces effets sont traduits en pourcentage de réduction de taille de la colonie et comparés au seuil de 10 %.

• Si un risque ne peut être exclu (> 10 % de réduction de la taille de la colonie), des tests sont réalisés en conditions réelles de plein champ, sauf si une voie ou un stade d’exposition dominant est identifié. Dans ce cas, des tests spécifiques sont conduits. Les suivis de terrain couvrent deux cycles de développement des abeilles ainsi que l’hivernage.

• Enfin, le document prend en compte les effets sublétaux et précise dans quelles conditions ils doivent être évalués.

Notes

    [1] Une liste des cultures considérées comme attractives est publiée à la fin du document d’orientation (Appendice A)

    [2] La plante peut être contaminée par un traitement réalisé avant la floraison. Les résidus peuvent persister dans la plante au moment de la floraison et les abeilles peuvent être exposées avec la consommation de nectar et de pollen.

    [3] OEPP : Organisation Européenne et Méditerranéenne pour la Protection des Plantes

    [4] Les effets sublétaux n’entrainent pas directement la mort des individus exposés mais peuvent affecter par exemple leur comportement, la physiologie ou encore la reproduction des individus. Ils peuvent finir indirectement par provoquer leur mort.

Auteurs : 

Julie Fourrier et Cyril Vidau - ITSAP-Institut de l'abeille

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