Partage des ressources florales entre abeilles
Publié le 23/07/2024
Autres
La distance au rucher, déterminante et fonction de la ressource florale
Le nombre de publications sur la concurrence entre abeilles pour le nectar ou le pollen a augmenté de 47 % entre 2017 et 2021. Cette question fait débat dans certaines aires protégées quant à la place de l’apiculture. Mais si les connaissances avancent vite sur le sujet, peu d’études proposent des mesures concrètes pour concilier apiculture et conservation des abeilles sauvages. Une vaste étude rapportée ici, s’intéressant à plusieurs types de ressources florales dans le Parc National des Cévennes et sur plusieurs années, met en évidence un phénomène de compétition entre abeilles sauvages et domestiques sur le nectar et le pollen.
La question de l’impact des colonies d’abeilles domestiques sur les autres pollinisateurs n’est pas récente [1]. Ces dernières années, cette question a connu un regain d’intérêt dans le champ scientifique, et 66 % des études recensées entre 2017 et 2021 montrent des effets négatifs liés à la présence des abeilles domestiques [2].
La question de l’impact des colonies d’abeilles domestiques sur les autres pollinisateurs n’est pas récente [1]. Ces dernières années, cette question a connu un regain d’intérêt dans le champ scientifique, et 66 % des études recensées entre 2017 et 2021 montrent des effets négatifs liés à la présence des abeilles domestiques [2].
La présence de colonies d’abeilles mellifères gérées peut entraîner différents effets sur les pollinisateurs sauvages, tels que le transfert de pathogènes, la modification des réseaux d’interactions entre plantes et pollinisateurs et la compétition pour les ressources florales [3]. En effet, la récolte de pollen et du nectar par les abeilles domestiques pour le maintien des colonies et la production apicole est susceptible d’entraîner une diminution des ressources disponibles pour les abeilles sauvages.
La présence de colonies d’abeilles mellifères gérées peut entraîner différents effets sur les pollinisateurs sauvages, tels que le transfert de pathogènes, la modification des réseaux d’interactions entre plantes et pollinisateurs et la compétition pour les ressources florales [3]. En effet, la récolte de pollen et du nectar par les abeilles domestiques pour le maintien des colonies et la production apicole est susceptible d’entraîner une diminution des ressources disponibles pour les abeilles sauvages.
Déclin des insectes : le contexte de cette compétition
Cette compétition s’inscrit dans un contexte de déclin des insectes, et des abeilles en particulier, déjà bien étayé[4], dont les principales causes identifiées sont l'utilisation de pesticides, la destruction des habitats et le réchauffement climatique[5]. Les études récentes suggèrent cependant qu’un phénomène de compétition induit par l’apiculture pourrait affecter le succès reproducteur des abeilles sauvages[6]. Cela pourrait constituer une nouvelle menace pour ces dernières, mais également pour les apiculteur·rices[7] dont le maintien de l’activité pose question dans les aires protégées lorsque la compétition entre les abeilles domestiques et les abeilles sauvages est documenté.
Cette compétition s’inscrit dans un contexte de déclin des insectes, et des abeilles en particulier, déjà bien étayé[4], dont les principales causes identifiées sont l'utilisation de pesticides, la destruction des habitats et le réchauffement climatique[5]. Les études récentes suggèrent cependant qu’un phénomène de compétition induit par l’apiculture pourrait affecter le succès reproducteur des abeilles sauvages[6]. Cela pourrait constituer une nouvelle menace pour ces dernières, mais également pour les apiculteur·rices[7] dont le maintien de l’activité pose question dans les aires protégées lorsque la compétition entre les abeilles domestiques et les abeilles sauvages est documenté.
Certains scientifiques plaident pour l’exclusion des colonies d’abeilles domestiques des aires protégées. Or cette politique pourrait augmenter la vulnérabilité des apiculteur·rices, renforcer leur dépendance aux milieux agricoles et ainsi favoriser une intensification de leurs pratiques[8]. D’autres sont en faveur de solutions dites « inclusives[9] » , avec des pratiques apicoles responsables et durables, associées à des efforts visant à promouvoir la restauration d’habitats naturels qui profitent à toutes les abeilles.
Certains scientifiques plaident pour l’exclusion des colonies d’abeilles domestiques des aires protégées. Or cette politique pourrait augmenter la vulnérabilité des apiculteur·rices, renforcer leur dépendance aux milieux agricoles et ainsi favoriser une intensification de leurs pratiques[8]. D’autres sont en faveur de solutions dites « inclusives[9] » , avec des pratiques apicoles responsables et durables, associées à des efforts visant à promouvoir la restauration d’habitats naturels qui profitent à toutes les abeilles.
Face à ces questions, les gestionnaires d’aires protégées mettent en place des mesures plus ou moins inclusives visant à réguler l’apiculture[10]. Par ailleurs, les ressources florales doivent parfois être partagées entre apiculteur·rices. Par exemple, sur le territoire des Cévennes, l’arrivée de gros ruchers transhumants a généré des conflits d’usages entre les apiculteurs du territoire[11]. Pourtant, ce type de compétition entre colonies d’abeilles domestiques est très peu étudiée dans la littérature scientifique.
Face aux enjeux à la fois écologiques et sociaux que sous-tendent ces phénomènes de concurrence, il nous est apparu important de nous saisir de cette question pour trouver des solutions conciliant activités apicoles et préservation des pollinisateurs sauvages. C’est pourquoi, l’ITSAP-Institut de l’abeille, dans le cadre de son partenariat avec INRAE dans l’UMT PrADE, a co-encadré une thèse sur le sujet, dont le terrain se situe dans le Parc National des Cévennes.
Face à ces questions, les gestionnaires d’aires protégées mettent en place des mesures plus ou moins inclusives visant à réguler l’apiculture[10]. Par ailleurs, les ressources florales doivent parfois être partagées entre apiculteur·rices. Par exemple, sur le territoire des Cévennes, l’arrivée de gros ruchers transhumants a généré des conflits d’usages entre les apiculteurs du territoire[11]. Pourtant, ce type de compétition entre colonies d’abeilles domestiques est très peu étudiée dans la littérature scientifique.
Face aux enjeux à la fois écologiques et sociaux que sous-tendent ces phénomènes de concurrence, il nous est apparu important de nous saisir de cette question pour trouver des solutions conciliant activités apicoles et préservation des pollinisateurs sauvages. C’est pourquoi, l’ITSAP-Institut de l’abeille, dans le cadre de son partenariat avec INRAE dans l’UMT PrADE, a co-encadré une thèse sur le sujet, dont le terrain se situe dans le Parc National des Cévennes.
Il a été choisi, à travers cette thèse, d’étudier le partage des ressources florales sous l’angle des biens communs d’Elinor Ostrom. Cette économiste a montré que l’action collective était une façon efficace et soutenable pour organiser un partage de ressources, reconnues comme des biens communs par l’ensemble de la communauté d’acteurs qui les utilisent. Nous avons donc cherché à savoir si une compétition entre abeilles était observable dans le Parc National des Cévennes. D’autre part, ces formes d’organisations collectives reposant sur des indicateurs opérationnels, nous nous sommes demandés si certaines variables apicoles sont indicatrices de ces compétitions sur notre zone d’étude, notamment la densité en ruches et la distance au rucher.
Il a été choisi, à travers cette thèse, d’étudier le partage des ressources florales sous l’angle des biens communs d’Elinor Ostrom. Cette économiste a montré que l’action collective était une façon efficace et soutenable pour organiser un partage de ressources, reconnues comme des biens communs par l’ensemble de la communauté d’acteurs qui les utilisent. Nous avons donc cherché à savoir si une compétition entre abeilles était observable dans le Parc National des Cévennes. D’autre part, ces formes d’organisations collectives reposant sur des indicateurs opérationnels, nous nous sommes demandés si certaines variables apicoles sont indicatrices de ces compétitions sur notre zone d’étude, notamment la densité en ruches et la distance au rucher.
Une méthode déjà éprouvée
Pour ce faire, nous avons repris la méthode développée par Henry et Rodet[12] lors d’une étude de la miellée de romarin sur la Côte Bleue. Celle-ci a mis en évidence l'existence d’une compétition pour la récolte en nectar et pollen des butineuses chez différentes espèces d’abeilles, particulièrement marquée dans l’environnement proche des ruchers. Nous avons souhaité vérifier si ces résultats étaient mesurables dans des paysages comportant des ressources florales plus variées.
Pour ce faire, nous avons repris la méthode développée par Henry et Rodet[12] lors d’une étude de la miellée de romarin sur la Côte Bleue. Celle-ci a mis en évidence l'existence d’une compétition pour la récolte en nectar et pollen des butineuses chez différentes espèces d’abeilles, particulièrement marquée dans l’environnement proche des ruchers. Nous avons souhaité vérifier si ces résultats étaient mesurables dans des paysages comportant des ressources florales plus variées.
Sur le territoire du Parc National des Cévennes, nous avons appliqué une approche d’échantillonnage extensive, collectant des données sur plusieurs sites et plusieurs ressources florales (Figure 1) : deux groupes d'espèces herbacées - knautie des champs (Knautia arvensis) et trèfles (Trifolium spp.), - un groupe d'espèces arbustives - les ronces (Rubus spp.) - et enfin, des habitats de lande, dominés par la bruyère cendrée (Erica cinerea) ou par la callune (Calluna vulgaris). Ces ressources et habitats ont été sélectionnés en fonction des parcours de transhumance et miellées visées par les apiculteur·rices pour produire du miel.
Sur le territoire du Parc National des Cévennes, nous avons appliqué une approche d’échantillonnage extensive, collectant des données sur plusieurs sites et plusieurs ressources florales (Figure 1) : deux groupes d'espèces herbacées - knautie des champs (Knautia arvensis) et trèfles (Trifolium spp.), - un groupe d'espèces arbustives - les ronces (Rubus spp.) - et enfin, des habitats de lande, dominés par la bruyère cendrée (Erica cinerea) ou par la callune (Calluna vulgaris). Ces ressources et habitats ont été sélectionnés en fonction des parcours de transhumance et miellées visées par les apiculteur·rices pour produire du miel.

Figure 1. Carte des sites échantillonnés dans les Cévennes.

Tableau 1 : Sessions d’échantillonnage et nombre d’abeilles capturées pour chaque ressource florale.
Au total, 8 sessions d’échantillonnages ont été réalisées sur ces différentes ressources (Tableau 1) en 2020 et 2021. Les ronces et la bruyère fleurissent sur la période de juin à juillet en même temps que la principale miellée du territoire, le châtaignier, et participent à la typicité des miels cévenols. Ces ressources ont été échantillonnées dans les vallées cévenoles entre Barre des Cévennes et Molezon, ainsi que sur le Mont Bougès. En août, la ressource principale du territoire est la callune qui fleurit sur le Mont Lozère et le Mont Bougès. Bien que déclinante, elle permet aux apiculteur·rices la récolte d’un miel prisé ou, a minima, d’assurer des ressources pour l’hivernage.
Enfin, en 2021 nous avons décidé d’échantillonner deux ressources qui fleurissent entre fin mai et début juin, avant la floraison du châtaignier : des prairies et bandes enherbées de trèfles et de knautie des champs. L’objectif était de pouvoir étudier la compétition en l’absence d’une floraison massive, pendant l’arrivée des ruchers pour la miellée de châtaignier.
Le contenu de jabot de 7500 abeilles à la moulinette des statistiques
Afin de savoir si les ressources sont partagées entre les abeilles et si elles peuvent entrer en compétition, nous avons prélevé 7 477 abeilles, dont 5 871 Apis mellifera, au sein de 428 sites d’échantillonnages, et ce sur l’ensemble des 5 ressources présentées ci-dessus pendant les saisons apicoles 2020 et 2021.
Sur chaque site nous avons capturé 10 (en 2021) ou 20 (en 2020) abeilles domestiques et autant d’abeilles sauvages que possible pendant environ 20 minutes. Les abeilles capturées ont été endormies avec du CO2 et leur genre, sexe ont été identifiés. Un indice de remplissage des scopa (organes de récolte du pollen) a été donné aux abeilles entre 0 (absence de pollen) et 10 (chargement en pollen au maximum). Une pression sur l’abdomen les abeilles endormies a permis de faire ressortir le nectar présent dans le jabot. Le volume du nectar récupéré dans un microcapillaire a été mesuré.
Afin de savoir si les ressources sont partagées entre les abeilles et si elles peuvent entrer en compétition, nous avons prélevé 7 477 abeilles, dont 5 871 Apis mellifera, au sein de 428 sites d’échantillonnages, et ce sur l’ensemble des 5 ressources présentées ci-dessus pendant les saisons apicoles 2020 et 2021.
Sur chaque site nous avons capturé 10 (en 2021) ou 20 (en 2020) abeilles domestiques et autant d’abeilles sauvages que possible pendant environ 20 minutes. Les abeilles capturées ont été endormies avec du CO2 et leur genre, sexe ont été identifiés. Un indice de remplissage des scopa (organes de récolte du pollen) a été donné aux abeilles entre 0 (absence de pollen) et 10 (chargement en pollen au maximum). Une pression sur l’abdomen les abeilles endormies a permis de faire ressortir le nectar présent dans le jabot. Le volume du nectar récupéré dans un microcapillaire a été mesuré.
Pour les abeilles sauvages, ce volume a été standardisé en fonction du volume maximal théorique qu’une abeille peut transporter dans son jabot selon sa taille et son sexe. Sur chaque site, ces mesures nous ont permis de calculer le succès d’approvisionnement moyen - c’est-à-dire la quantité moyenne de ressource transportée rapportée à la quantité maximale - en nectar et en pollen de l’ensemble des abeilles capturées sur ce site. Ces valeurs ont ensuite été modélisées et croisées statistiquement avec les variables apicoles : la distance par rapport au rucher le plus proche et la densité de ruches autour du site d’échantillonnage. Pour ce faire, les ruchers présents sur nos zones d’études ont été recensés tout au long de l’expérimentation afin de prendre en compte l’arrivée de ruchers transhumants.
Pour les abeilles sauvages, ce volume a été standardisé en fonction du volume maximal théorique qu’une abeille peut transporter dans son jabot selon sa taille et son sexe. Sur chaque site, ces mesures nous ont permis de calculer le succès d’approvisionnement moyen - c’est-à-dire la quantité moyenne de ressource transportée rapportée à la quantité maximale - en nectar et en pollen de l’ensemble des abeilles capturées sur ce site. Ces valeurs ont ensuite été modélisées et croisées statistiquement avec les variables apicoles : la distance par rapport au rucher le plus proche et la densité de ruches autour du site d’échantillonnage. Pour ce faire, les ruchers présents sur nos zones d’études ont été recensés tout au long de l’expérimentation afin de prendre en compte l’arrivée de ruchers transhumants.
De façon à considérer un effet possible de la taille des ruchers, les analyses ont été répétées en ignorant les plus petits ruchers, rassemblant moins de 8, 16 ou 24 ruches (par exemple, dans le cas d’un seuil de 8 unités, la variable utilisée dans le modèle est la distance au rucher de plus de 8 colonies le plus proche de chaque site).
De façon à considérer un effet possible de la taille des ruchers, les analyses ont été répétées en ignorant les plus petits ruchers, rassemblant moins de 8, 16 ou 24 ruches (par exemple, dans le cas d’un seuil de 8 unités, la variable utilisée dans le modèle est la distance au rucher de plus de 8 colonies le plus proche de chaque site).
Les succès d’approvisionnement en nectar et en pollen ont été modélisés en fonction de chaque variable apicole - de distance ou de densité - et des paramètres météorologiques (température, vitesse du vent, taux d’humidité relative) mesurés sur chaque site.
Afin d’étudier les variations entre les différentes ressources florales, celles-ci ont été considérées dans les modèles de deux façons : selon un modèle général qui intègre toutes les situations de ressources florales confondues, puis séparément pour chaque type de ressource.
Les succès d’approvisionnement en nectar et en pollen ont été modélisés en fonction de chaque variable apicole - de distance ou de densité - et des paramètres météorologiques (température, vitesse du vent, taux d’humidité relative) mesurés sur chaque site.
Afin d’étudier les variations entre les différentes ressources florales, celles-ci ont été considérées dans les modèles de deux façons : selon un modèle général qui intègre toutes les situations de ressources florales confondues, puis séparément pour chaque type de ressource.
Le nectar, ressource disputée entre espèces
Nos résultats convergent pour conclure à l’existence d’une compétition entre ruchers et entre espèces d’abeilles, à la fois pour le nectar et le pollen.
Premièrement, nous observons une diminution significative du succès d’approvisionnement en nectar dans les jabots des abeilles sauvages plus on s’approche des ruchers (Figure 2). Le modèle général montre ainsi une baisse de 30 % de ce succès d’approvisionnement sur les sites situés à moins 350 m des ruchers de plus de 16 ruches, par rapport aux sites situés au-delà (Figure 2A). Cette baisse varie en fonction des ressources et des années (Figure 2B).
Nos résultats convergent pour conclure à l’existence d’une compétition entre ruchers et entre espèces d’abeilles, à la fois pour le nectar et le pollen.
Premièrement, nous observons une diminution significative du succès d’approvisionnement en nectar dans les jabots des abeilles sauvages plus on s’approche des ruchers (Figure 2). Le modèle général montre ainsi une baisse de 30 % de ce succès d’approvisionnement sur les sites situés à moins 350 m des ruchers de plus de 16 ruches, par rapport aux sites situés au-delà (Figure 2A). Cette baisse varie en fonction des ressources et des années (Figure 2B).
De 60 % pour la callune et la bruyère, cette diminution n’était que de 5 % pour la ronce en 2020. En 2021, le succès d’approvisionnement sur les sites situés à moins de 350 m d’un rucher est de 40 % inférieur, à moins de 350 m d’un rucher sur la knautie et de 80 % inférieur pour les relevés effectués sur la bruyère cendrée. En revanche, aucune diminution significative du succès d’approvisionnement n’a été enregistrée pour la ronce et la callune en 2021. Nos résultats sont également significatifs si nous considérons non plus 350 m comme rayon autour des ruchers, mais 650 m. Donc nos résultats révèlent une incertitude sur le seuil de distance à considérer entre 350 et 650 m du rucher.
De 60 % pour la callune et la bruyère, cette diminution n’était que de 5 % pour la ronce en 2020. En 2021, le succès d’approvisionnement sur les sites situés à moins de 350 m d’un rucher est de 40 % inférieur, à moins de 350 m d’un rucher sur la knautie et de 80 % inférieur pour les relevés effectués sur la bruyère cendrée. En revanche, aucune diminution significative du succès d’approvisionnement n’a été enregistrée pour la ronce et la callune en 2021. Nos résultats sont également significatifs si nous considérons non plus 350 m comme rayon autour des ruchers, mais 650 m. Donc nos résultats révèlent une incertitude sur le seuil de distance à considérer entre 350 et 650 m du rucher.

Figure 2. Effet de la proximité au rucher le plus proche sur le succès d’approvisionnement en nectar des abeilles sauvages. A. Résultat du modèle général. B. Résultat du modèle pour chaque session. Sur chaque graphique les formes en violon indiquent la quantité de sites échantillonnés selon le succès d’approvisionnement et le seuil. A l’intérieur de ces formes, en noir et blanc, les boîtes à moustaches indiquent les premier et dernier quartile ainsi que la médiane des données (barres horizontales noires). En rouge, le point indique la moyenne prédite par le modèle avec l’écart-type associé. Les étoiles indiquent la significativité de l’effet trouvé : *** = très significatif, * significatif, NS = Non significatif.

Figure 3. Effet de la proximité au rucher le plus proche sur le succès d’approvisionnement en nectar des abeilles domestiques. A. Résultat du modèle général. B. Résultats du modèle pour chaque session d’échantillonnage. Lorsque le trait est pointillé cela signifie que l’effet de la distance n’est pas significatif pour la session concernée.
Une compétition pour le nectar également mesurée entre ruchers
L’étude du succès d’approvisionnement en nectar des abeilles domestiques montre également une relation positive significative entre le volume de nectar transporté et la distance au rucher (Figure 3A). La quantité de nectar transportée par les abeilles domestique diminue plus on s’approche des ruchers de plus de 16 colonies. Parmi les distances testées (entre 250 m et 850 m), nous n’avons pas détecté de seuil spécifique au-delà duquel cette compétition n’est plus significative. Cet effet linéaire de la distance est fortement observé dans les modèles spécifiques suivants : callune en 2020, callune en 2021, bruyère en 2021, ronce en 2021, knautie en 2021 (Figure 3B). Sur la bruyère et la ronce (en 2020) et les trèfles, aucun effet n’est détecté.
Les modèles testant un effet de la densité de colonies sont également moins robustes pour expliquer nos données de terrain, mais révèlent une diminution du succès d’approvisionnement en nectar des abeilles mellifères lorsque la densité de ruches/km2, à 1 km autour du site d’échantillonnage, augmente.
Forte influence de la météo sur l’approvisionnement en pollen
Le succès d’approvisionnement en pollen est plus difficile à analyser. En effet, nos analyses montrent un effet des conditions météorologiques lors de l’échantillonnage sur celui-ci. Ainsi, nos résultats indiquent qu’à faible température et en cas de forte humidité relative, en général tôt dans la journée, les abeilles sauvages prélevées à proximité des ruchers de plus de 24 colonies transportent moins de pollen. En revanche, en fin de journée, lorsque la température est plus haute et le taux d’humidité relative plus faible, la quantité de pollen transportée est plus faible, mais ne dépend plus de la distance au rucher.
Le succès d’approvisionnement en pollen est plus difficile à analyser. En effet, nos analyses montrent un effet des conditions météorologiques lors de l’échantillonnage sur celui-ci. Ainsi, nos résultats indiquent qu’à faible température et en cas de forte humidité relative, en général tôt dans la journée, les abeilles sauvages prélevées à proximité des ruchers de plus de 24 colonies transportent moins de pollen. En revanche, en fin de journée, lorsque la température est plus haute et le taux d’humidité relative plus faible, la quantité de pollen transportée est plus faible, mais ne dépend plus de la distance au rucher.
De la même manière que pour les abeilles sauvages, la quantité de pollen transportée par les abeilles domestiques dépend des conditions météorologiques. Ici, nos résultats montrent que ce succès dépend à la fois de la vitesse du vent et de la densité de ruches par km2 à 1 km autour du site de relevé.
De la même manière que pour les abeilles sauvages, la quantité de pollen transportée par les abeilles domestiques dépend des conditions météorologiques. Ici, nos résultats montrent que ce succès dépend à la fois de la vitesse du vent et de la densité de ruches par km2 à 1 km autour du site de relevé.
Ce qu’il faut retenir
Le succès d’approvisionnement en nectar et en pollen des abeilles sauvages diminuait en se rapprochant des ruchers. Pour le nectar, nous avons mesuré la compétition entre abeilles à la distance de 350 à 650 m autour des ruchers. Ces résultats sont cohérents avec ceux de Henry et Rodet (2018) qui avaient observé une compétition entre espèces d’abeilles pour le nectar à moins de 600 m d’un rucher. Notre étude montre pour la première fois une réplicabilité de cet effet de compétition liée à la distance dans un paysage très divers.
Le succès d’approvisionnement en nectar et en pollen des abeilles sauvages diminuait en se rapprochant des ruchers. Pour le nectar, nous avons mesuré la compétition entre abeilles à la distance de 350 à 650 m autour des ruchers. Ces résultats sont cohérents avec ceux de Henry et Rodet (2018) qui avaient observé une compétition entre espèces d’abeilles pour le nectar à moins de 600 m d’un rucher. Notre étude montre pour la première fois une réplicabilité de cet effet de compétition liée à la distance dans un paysage très divers.
Nous avons également mis en évidence la variabilité de ces effets de compétition en fonction des ressources florales, de l'année d'étude, des conditions météorologiques et de la taille des ruchers. Ainsi en 2020, alors que les landes subissaient la sécheresse et que les apiculteur.rices rapportaient une production de miel de callune faible, nous avons mesuré une compétition pour le nectar. Nous ne faisons pas le même constat en 2021. Cette année-là les landes étaient globalement plus humides, les volumes de nectar récoltés par les abeilles domestiques beaucoup plus élevés qu'en 2020 et la production de miel plus importante. Ces variations en fonction des ressources et des années font naître des incertitudes quant à la généralisation de la situation de concurrence - et des mesures réglementaires - dans tous les territoires.
Nous avons également mis en évidence la variabilité de ces effets de compétition en fonction des ressources florales, de l'année d'étude, des conditions météorologiques et de la taille des ruchers. Ainsi en 2020, alors que les landes subissaient la sécheresse et que les apiculteur.rices rapportaient une production de miel de callune faible, nous avons mesuré une compétition pour le nectar. Nous ne faisons pas le même constat en 2021. Cette année-là les landes étaient globalement plus humides, les volumes de nectar récoltés par les abeilles domestiques beaucoup plus élevés qu'en 2020 et la production de miel plus importante. Ces variations en fonction des ressources et des années font naître des incertitudes quant à la généralisation de la situation de concurrence - et des mesures réglementaires - dans tous les territoires.
Quelques questions demeurent
Concernant le succès d’approvisionnement des abeilles domestiques, l'effet de la distance fait l’objet de plusieurs interprétations. Il peut être considéré comme une adaptation comportementale des butineuses. Les butineuses qui s'éloignent de leur colonie peuvent récolter des charges de nectar ou de pollen plus importantes afin d'ajuster la rentabilité de leur vol de butinage à la distance effectivement parcourue. Si cette hypothèse n'est pas à exclure, il est possible que l’effet de la distance résulte d’une combinaison entre adaptation comportementale et compétition entre abeilles. En effet, nos recherches suggèrent une compétition puisque la quantité de nectar prélevée par les abeilles diminue quand la densité de colonies à 1 km autour du point d’échantillonnage augmente.
Concernant le succès d’approvisionnement des abeilles domestiques, l'effet de la distance fait l’objet de plusieurs interprétations. Il peut être considéré comme une adaptation comportementale des butineuses. Les butineuses qui s'éloignent de leur colonie peuvent récolter des charges de nectar ou de pollen plus importantes afin d'ajuster la rentabilité de leur vol de butinage à la distance effectivement parcourue. Si cette hypothèse n'est pas à exclure, il est possible que l’effet de la distance résulte d’une combinaison entre adaptation comportementale et compétition entre abeilles. En effet, nos recherches suggèrent une compétition puisque la quantité de nectar prélevée par les abeilles diminue quand la densité de colonies à 1 km autour du point d’échantillonnage augmente.
Si une compétition entre abeilles pour les ressources a donc bien été identifiée dans les Cévennes, nous n’avons pas directement mesuré son impact sur la survie, la reproduction, voire le risque d’extinction locale des abeilles sauvages.
Si une compétition entre abeilles pour les ressources a donc bien été identifiée dans les Cévennes, nous n’avons pas directement mesuré son impact sur la survie, la reproduction, voire le risque d’extinction locale des abeilles sauvages.
Des solutions pour agir collectivement
Notre étude inscrit les ressources florales comme des « biens communs » au sens d’Elinor Ostrom, c’est-à-dire des ressources en accès libre et dont la quantité diminue avec leur utilisation. Cela ouvre de nouvelles perspectives en termes de gestion collective de ces biens communs en émergence. La distance entre les ruchers est alors un moyen de gestion prometteur pour s’organiser sur les territoires et limiter ces phénomènes de compétition.
Notre étude inscrit les ressources florales comme des « biens communs » au sens d’Elinor Ostrom, c’est-à-dire des ressources en accès libre et dont la quantité diminue avec leur utilisation. Cela ouvre de nouvelles perspectives en termes de gestion collective de ces biens communs en émergence. La distance entre les ruchers est alors un moyen de gestion prometteur pour s’organiser sur les territoires et limiter ces phénomènes de compétition.
Par ailleurs, compte tenu des incertitudes écologiques révélées dans notre travail (variabilité selon le contexte et la météo) et des implications sociales de la question du partage des ressources florales, il apparaît essentiel d'impliquer les apiculteur·rices afin de trouver des solutions co-construites et conciliant les enjeux des différentes parties prenantes[13].
Par ailleurs, compte tenu des incertitudes écologiques révélées dans notre travail (variabilité selon le contexte et la météo) et des implications sociales de la question du partage des ressources florales, il apparaît essentiel d'impliquer les apiculteur·rices afin de trouver des solutions co-construites et conciliant les enjeux des différentes parties prenantes[13].
Bibliographie
[1] Roubik, 1978 ; Schaffer et al., 1979
[2] Iwasaki et Hogendoorn, 2022
[3] Geslin et al., 2017
[4] Decourtye et al., 2019
[5] Durant et Otto, 2019 ; Goulson et al., 2015
[6] Thomson et Page, 2020 ; Sponsler et al., 2023
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[7] Durant, 2019
[8] Cilia, 2019
[9] Alaux et al., 2019 ; Kleijn et al., 2018
[10] Decourtye et Allier, 2023
[11] Mouillard-Lample et al., 2023
[12] Henry et Rodet, 2018
[13] Mouillard-Lample et al., 2023 disponible en version vulgarisée ici
[7] Durant, 2019
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[9] Alaux et al., 2019 ; Kleijn et al., 2018
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[11] Mouillard-Lample et al., 2023
[12] Henry et Rodet, 2018
[13] Mouillard-Lample et al., 2023 disponible en version vulgarisée ici
Remerciements
Nous remercions l’ensemble des apiculteur·rices qui nous ont aidé à la localisation des ruchers. Nous remercions le Parc National des Cévennes pour son aide logistique et son accompagnement sur le terrain tout au long de cette étude, et en particulier Jocelyn Fonderflick, Viviane de Montaigne, Tifenn Pedron et Camille Savary. Nous remercions également l’ensemble des personnes qui nous ont participé aux sessions d’échantillonnage des abeilles (Léna Barascou, Cécile Ferrus, Pierre Le Bivic, Zoé Le Marchand, Maxime Lewin, Bertrand Schatz et Julien Vallon) et les spécialistes qui les ont identifiées.
Cette étude a bénéficié du financement du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche via l’ENS de Lyon et l’Université d’Avignon, de l’INRAE (via le département Santé des Plantes et de l’Environnement ainsi que le métaprogramme Biosefair), de FranceAgriMer, du FEAGA, de la Fondation Lune de Miel et de la société Sojufel.
Auteur·rices :
Léo Mouillard-Lample (INRAE/ITSAP/Université d’Avignon), Axel Decourtye (ITSAP), Taïna Lemoine (Parc National des Cévennes), Sarah Bourdon (INRAE), Laurent Guilbaud (INRAE), Cécile Barnaud (INRAE) et Mickaël Henry (INRAE)
NDLR : Cet article propose une forme vulgarisée du chapitre 3 de la thèse de Léo Mouillard-Lample qui a vocation à être publiée ultérieurement sous la forme d’un article scientifique.
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