Vers une meilleure protection des abeilles : révision des procédures d’évaluation des risques des pesticides

Publié le 15/06/2025

Stress chimiques

Avant leur mise sur le marché, les produits phytopharmaceutiques subissent une évaluation qui permet de mesurer leur efficacité pour les espèces ciblées, ainsi que leur innocuité pour l’homme, l’environnement et la biodiversité. Après plus d’une décennie de discussions et d’objections, cette procédure vient d’être révisée pour les abeilles. Désormais, les bourdons et certaines espèces d’abeilles solitaires sont inclus en plus des abeilles domestiques. Cet article analyse les avancées majeures de cette révision pour la protection de ces pollinisateurs.

Retour sur un long parcours semé d’embûches

Des procédures d’évaluation du risque perfectibles

Depuis 1991, l’évaluation des risques des produits phytopharmaceutiques est harmonisée à l’échelle européenne. En théorie, les directives qui en régissent le cadre sont mises à jour en fonction des progrès scientifiques. Mais dans les faits, un écart notable existe entre les découvertes scientifiques et l’adaptation des procédures. Les évaluations précédentes, centrées principalement sur la mortalité des abeilles adultes après exposition aiguë, ont montré leurs limites face à la crise apicole liée aux insecticides néonicotinoïdes.

Les études scientifiques qui ont suivi ont ainsi mis en lumière l'insuffisance des approches existantes, particulièrement en ce qui concerne l’effet des expositions répétées ou les effets sublétaux pouvant affecter le comportement, la reproduction, la physiologie des abeilles, et de fait affecter la santé des colonies. De plus, l’évaluation du risque n’incluait pas d’autres espèces d’abeilles, telles que les bourdons et les abeilles solitaires.

Face à ces lacunes, la Commission Européenne a mandaté l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) en 2010 pour réviser les procédures d’évaluation des risques phytopharmaceutiques sur les abeilles. Après un avis paru en 2012 soulignant les insuffisances de l’évaluation actuelle, l’EFSA a publié en 2013 un document d’orientation visant à réviser ces procédures [1].

Blocages et révision des procédures d’évaluation

Les objections des États membres

Malheureusement, le document d’orientation proposé par l'EFSA en 2013 a été rejeté par une majorité d’États membres. Pour que les directives de l’EFSA soient intégrées dans la législation européenne, une approbation de 55 % des États Membres est requise. Le rejet a eu lieu en raison de la complexité perçue des mesures pour évaluer la toxicité chronique sur les abeilles domestiques, la toxicité sur les bourdons et abeilles sauvages, et les défis de la mesure des effets en plein champ.

L'impasse politique a conduit à une prolongation des négociations pendant près de 10 ans, jusqu'à ce que la Commission Européenne donne à l’EFSA un nouveau mandat en 2019 pour réviser son document d’orientation [2]. Cette fois-ci, les parties prenantes ont été impliquées de manière plus étroite dans le processus de révision.

Le travail mené a permis de définir de nouvelles bases pour l'évaluation des risques, en s’appuyant sur des données sur la mortalité de fond des abeilles, l’attractivité des cultures, les conditions de réalisation des tests au champ et la définition d’objectifs de protection (OP).

Fixer des objectifs de protection : une première étape cruciale

Définir un seuil de réduction de taille des colonies

Pour les abeilles domestiques, un Objectif de Protection (OP) a été établi pour la taille des colonies. Un seuil est défini pour quantifier la réduction acceptable de la population d'abeilles adultes avant que cela ne constitue un risque pour la colonie. Actuellement, les lignes directrices en vigueur (4,5) n’ont pas défini de seuil, et les études au champ ne permettent de détecter qu’une réduction de taille de la colonie déjà élevée et d’environ 20 à 25 % [3]. Le travail réalisé à partir des simulations mathématiques sur les variations naturelles de la taille des colonies non exposées à des pesticides a permis de fixer un seuil de réduction maximum acceptable de 10 % de la population des colonies [3].

Ce seuil a été validé par les États Membres et a permis la révision du document d’orientation EFSA publiée en 2023.

Cependant, pour les bourdons et les abeilles solitaires, les données manquent encore, et aucun OP n’a été défini. Des méthodologies spécifiques à ces espèces sont encore nécessaires ainsi que la collecte de données, en particulier dans les conditions naturelles.

Publication du document d'orientation révisé de l'EFSA en 2023

Une révision attendue

L’EFSA a publié en mai 2023 [6] la version finalisée du document d’orientation révisé sur l’évaluation des risques liés aux produits phytopharmaceutiques pour les abeilles (Apis mellifera, Bombus spp. et abeilles solitaires). Ce document, une fois adopté, remplacera les lignes directrices encore en vigueur de 2002 [4] et 2010 [5], qui ne concernent que l’évaluation du risque pour les abeilles mellifères.

La Commission Européenne travaille désormais à l’adoption par le Comité Permanent des Végétaux, des Animaux, des Denrées Alimentaires et des Aliments pour Animaux (SCOPAFF) de ce document révisé avec les États Membres, une procédure en cours qui requiert d’abord d’intégrer les orientations du document EFSA dans la législation européenne pour assurer une évaluation harmonisée à travers l’UE. Une fois cette étape achevée, les procédures d’évaluation du risque , telles qu’elles ont été publiées dans le document, pourront être appliquées à l’échelle communautaire.

Vers une évaluation du risque plus sûre pour les abeilles ?

La révision des procédures d’évaluation du risque des produits phytopharmaceutiques sur les abeilles avant la mise sur le marché marque un tournant important et attendu . Une décennie aura néanmoins été nécessaire pour que les révisions engagées dès 2013 soient acceptées par les Etats Membres et ceci après des modifications substantielles.

L’adoption de ces nouvelles règles permettront d’améliorer les procédures actuelles en faveur de la protection des abeilles mellifères mais aussi des bourdons et des abeilles solitaires et constitue un progrès significatif vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement.

Références

Auteurs : 

Julie Fourrier et Cyril Vidau - ITSAP-Institut de l'abeille

s'inscrire à la newsletter

Vous y retrouverez les actualités de nos dernières recherches, événements, publications, infos clés à savoir en tant qu'apiculteur.