Suspicions de fraudes sur les miels d'importation

Publié le 25/09/2023

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Les résultats du rapport de la Commission européenne

La Commission européenne a publié en mars 2023 son rapport d’enquête sur la fraude concernant les miels d'importation en provenance de pays tiers. Celui-ci révèle que 46% des échantillons prélevés sont suspectés de fraude par adultération, c’est à dire d’ajout de sucres exogènes au miel, généralement sous forme de sirop. On fait le point sur les méthodes de contrôle, les responsabilités engagées et de possibles évolutions de la réglementation.

L'action coordonnée par la Direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire (DG SANTE), assistée du Joint research center (JRC) et de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF), s'est déroulée en trois phases entre octobre 2021 et mars 2023 : l’échantillonnage et la phase d’analyse, la collecte des données de traçabilité et des enquêtes chez les opérateurs suspectés.

Ce plan de contrôle intervient dans un contexte économique difficile pour la filière miel européenne, accompagné d'une hausse des signalements de suspicion de fraudes sur le miel, fraudes confirmées par l’enquête précédente.

Figure 1 : Répartition des échantillons prélevés par pays importateur (source : (2))

Quelle méthode d’échantillonnage et d’analyse ?

Au total, ce sont seize pays membres de l’Union européenne, ainsi que la Norvège et la Suisse, qui ont prélevé aléatoirement des échantillons de miels importés de pays tiers. L’objectif d’échantillonnage par pays a été fixé en se basant sur les contrôles antérieurs effectués aux importations. Les échantillons ont été collectés aux points de contrôle frontaliers (88%), et parfois directement chez des conditionneurs ou les distributeurs. Ils étaient déclarés d’origine polyflorale en majorité (77%) et provenaient principalement de Chine, d’Ukraine, d’Argentine, du Mexique et de Turquie. Les échantillons ont ensuite été analysés par le JRC, en combinant plusieurs méthodes de détection de sucres exogènes.

Sur les 320 échantillons analysés, 46% sont suspectés de non-conformité à la Directive relative au miel 2001/110/CE du fait de la présence d’au moins un marqueur de sucre exogène. Les techniques utilisées fournissent un résultat qualitatif ne permettant pas d’estimer quantitativement les sucres exogènes. En comparaison, l’étude réalisée en 2015-2017 avait identifié 14% d’échantillons non conformes aux valeurs de référence alors utilisées pour vérifier l’authenticité du miel. Cette différence de résultats entre les deux études peut s’expliquer, entre autres, par les méthodes d’analyse appliquées.

En effet, l’étude précédente utilisait la spectrométrie de masse des ratios isotopiques (EA-IRMS et LC-IRMS) pour détecter la présence de certains sirops de sucre. Depuis, les techniques de fraudes pour adultérer les miels se sont considérablement améliorées et développées pour échapper à la détection, combinant des sirops d’origines végétales diverses et jouant sur les quantités pour imiter le profil en sucres du miel. Le JRC a cette fois utilisé les méthodes de la précédente étude, combinées à des méthodes d’analyse plus fines permettant de détecter d’autres marqueurs de sucre exogène, notamment les oligo/polysaccharides et le mannose (tableau 1).

Sur les échantillons étudiés, la méthode EA-IRMS, fréquemment utilisée par le passé pour détecter l’ajout de sucres provenant de la canne à sucre ou de l’amidon de maïs, n’a pas permis cette fois de détecter la présence de marqueurs d’adultération. Ce qui pourrait indiquer que ces sirops ne sont plus utilisés aujourd’hui.

Tableau 1 : Méthodes de détection de sucres exogènes utilisée par le JRC pour l’analyse des échantillons de l’enquête de la Commission Européenne « From the hives » 2021-2023 (source : (2))

Au-delà du nombre d’échantillons suspects, il est important de regarder le taux de non-conformité. Par exemple, sur 89 lots originaires de Chine, 74% sont soupçonnés de non-conformité tandis que l’origine Turquie présente le taux de suspicion de non-conformité le plus élevé, avec 14 lots sur 15 (93%).

Les résultats indiquent également que 100% des échantillons transformés et exportés par le Royaume-Uni sont suspects. La figure 2 ci-dessous montre la répartition d’échantillons suspects et non-suspects par pays exportateur.

Figure 2 : Répartition des échantillons suspectés de non-conformité par origine géographique (source : (2))

L’étude montre que sur 123 exportateurs contrôlés, 57% ont exporté des lots suspectés d’adultération (figure 3), tandis que sur les 95 opérateurs ayant importé les miels analysés, 66% sont concernés par au moins un lot suspect (figure 4).

Figure 3 : Profil des exportateurs (source : (1)) Figure 4 : Profil des importateurs (source : (1))

Il est important de préciser que ces résultats portent uniquement sur les échantillons prélevés, et ne sont pas généralisables à l’ensemble du marché européen. Les analyses effectuées par le JRC ont donc permis d’identifier des suspicions d’adultération.

Toutefois, les méthodes utilisées n’étant pas officiellement accréditées, des investigations complémentaires se sont avérées nécessaires.

Quelles pratiques du côté des opérateurs contrôlés ?

À la suite de la phase d’échantillonnage et d’analyse, la Commission européenne a collecté les données de traçabilité de chaque lot auprès des importateurs et exportateurs.

Les Etats, secondés par les services de l’OLAF, ont mené des enquêtes complémentaires auprès des opérateurs concernés sur les lieux d’importation, de transformation, de mélange et de conditionnement.

Ces investigations ont permis de confirmer certaines suspicions et ont révélé pour certaines entreprises des pratiques frauduleuses à travers la chaîne de valeur : achats délibérés de miel adultéré, mélange du miel à des sirops de sucre sur le territoire européen, recours à des analyses dans des laboratoires accrédités pour adapter les mélanges miel/sirops et éviter la détection de ces ajouts de sucres exogènes, usage d’additifs et colorants pour imiter l’origine botanique, élimination de pollens pour camoufler l’origine géographique ou encore la falsification des données de traçabilité (origine, qualités, labels, etc.). À ce jour, sur les 63 opérateurs ayant importé au moins un lot suspect, 44 ont été investigués, et 9 d’entre eux ont été sanctionnés pour pratiques d’adultération du miel.

Les enquêtes se poursuivent au sein des Etats.

Un appel à la responsabilité des acteurs et une évolution de la règlementation ?

L’action coordonnée par la Commission européenne a mis à jour des pratiques de fraude largement répandues dans les importations de miel en provenance de pays tiers et a confirmé qu’une partie importante des miels importés ne seraient pas conformes à la Directive européenne relative au miel.

À la suite de cette enquête, la Commission tient à rappeler aux opérateurs de la chaîne agroalimentaire leurs obligations et responsabilités vis-à-vis des réglementations existantes.

Les pays s’accordent sur le besoin de nouvelles méthodes d’analyse harmonisées, fiables et validées pour détecter l’adultération ainsi que sur la nécessité d’augmenter les contrôles officiels aux frontières et au sein du marché européen, à combiner avec des enquêtes auprès des opérateurs. La Commission envisage de faire évoluer la réglementation pour garantir une meilleure traçabilité des mélanges de miel en rendant obligatoire la mention des pays d’origine. Face à ces révélations, certains acteurs de la filière apicole en France et en Europe appellent à l’action et à l’évolution de la réglementation pour protéger le miel européen de la concurrence déloyale.

Bibliographie

(1) European Commission, Health and Food Safety Directorate-Geneal. 2023. EU coordinated action « From the hives ». Sampling, investigations and results.

(2) European Commission, Joint Research Center. Ždiniaková, T., Lörchner, C., De Rudder, O., Dimitrova, T., Kaklamanos, G., Breidbach, A., Respaldiza, A., Vaz Silva, I.M., Paiano, V.,Ulberth, F., Maquet, A. 2023. EU coordinated action to deter certain fraudulent practices in the honey sector. Analytical testing results of imported honey.

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Auteures : 

Héloïse Descotes-Genon (ITSAP-Institut de l’abeille), avec la contribution de Cécile Ferrus (ITSAP-Institut de l’abeille) et Jennifer Mejean (Syndicat AOP Miel de Corse – Mele di Corsica)

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