Les indicateurs de qualité de l'habitat des abeilles

Publié le 08/05/2025

Innovation

Partie 1 : Les facteurs et conditions écologiques

Un groupe de travail composé de salarié.es ITSAP a construit des indicateurs[1] à partir de la littérature scientifique autour des principaux facteurs connus comme influençant la santé des colonies.

Ces facteurs ont été regroupés en 2 catégories : dans un premier temps, les facteurs et conditions écologiques, que nous allons aborder dans ce premier article ; puis les facteurs de stress biotiques et chimiques, que nous aborderont dans un second article.

Introduction

La santé et la productivité des colonies d’abeilles dépendent étroitement de la qualité de leur environnement (ressources alimentaires, structures paysagères, météo, etc.) et de l’influence des bioagresseurs.

Face aux défis croissants de l’apiculture, comme le changement climatique et les pressions parasitaires accrues, il est important de disposer d’outils qui permettent de mesurer objectivement les conditions de vie des abeilles.

Si les facteurs présentés ici peuvent être quantifiés en les traduisant en formules mathématiques simples, l'accès aux données nécessaires à leur calcul peut en revanche s'avérer complexe. Il en va de même pour la traduction de ces facteurs en scores qui sont indiqués ci-dessous à titre purement illustratifs. Ce défi n’enlève en rien l’importance d’adopter une approche globale pour améliorer l’implantation des ruches, tout en ouvrant les débats sur l’intérêt et la capacité de la filière apicole et de ses partenaires à générer des données capables d’améliorer l’efficience de l’apiculture, ou du moins, à créer les conditions favorables à l’émergence de ces données à court, moyen ou long terme.

Une fois mis à l’épreuve avec les données disponibles sur nos territoires, ces indicateurs pourraient à terme être agrégés dans un indicateur composite qui synthétiserait un ensemble de facteurs ayant un impact positif ou négatif sur la santé et la productivité des abeilles. Appliqué à un rayon de butinage autour d'un point GPS – sur l’outil BeeGIS par exemple - il permet de refléter la capacité de cette zone à soutenir une colonie d'abeilles. Un tel outil cartographique permettrait aux apiculteurs de mieux comprendre et évaluer les sites où installer leurs ruches, contribuant ainsi à une gestion plus productive et sécurisante des colonies.

1. La disponibilité des ressources florales

L'Indice de Diversité Florale (IDF) mesure la diversité des espèces florales dans une zone et peut se calculer à partir de l’indice de Shannon. Une diversité élevée assure une alimentation équilibrée et diversifiée, ce qui améliore la santé des abeilles et augmente leur résilience (Alaux et al., 2010 ; Di Pasquale et al., 2013). Une grande variété d'espèces végétales permet aux abeilles d'accéder à divers nutriments essentiels et assure une floraison échelonnée dans le temps.

L'Indice de Continuité Florale (ICF) évalue la couverture temporelle des floraisons au cours de la saison et se calcul comme la somme de semaines avec floraisons significatives des différentes espèces présentes autour d’un point GPS divisé par les 52 semaines de l’année. La continuité des sources de nectar et de pollen est importante pour éviter les périodes de disette, qui impactent négativement le développement et la production en miel des colonies (Requier et al., 2015). Un ICF élevé indique une capacité de la zone à fournir des ressources continues, ce qui est connu pour être notamment favorable au développement des larves et à la production de gelée royale.

La Densité Florale (DF) mesure la concentration des plantes mellifères par unité de surface. Une densité élevée réduit les distances de vol nécessaires et augmente l'efficacité énergétique des abeilles et la productivité de la colonie (Steffan-Dewenter & Tscharntke, 2001). Des ressources florales abondantes à proximité des ruches permettent aux abeilles de consacrer plus d'énergie à la collecte de nectar et de pollen qu’à la recherche de ces ressources, ce qui favorise une accumulation rapide des réserves de miel et renforce la santé de la colonie.

L'Indice de Qualité du Nectar et du Pollen (IQNP) reflète la valeur nutritive des ressources florales. L’indice peut se calculer en effectuant la somme des notes de qualité de chaque espèce, pondérées par leur abondance relative, puis en divisant cette somme par celle des abondances relatives de toutes les espèces. La qualité du nectar et du pollen est un facteur important pour la santé, la longévité et la reproduction des abeilles (Brodschneider & Crailsheim, 2010). Un apport en pollens de haute qualité nutritive, riche en protéines, lipides et vitamines, est crucial pour le développement du couvain d’ouvrières et l’élevage des larves de reines.

2. Occupation des sols et structure paysagère

Le Pourcentage d’Habitats Semi-Naturels (PHSN) est un indicateur qui quantifie la proportion des surfaces peu anthropisées (non urbanisées et peu soumises à des interventions agricoles ou d’entretien) autour des ruches. Il se calcule comme le ratio entre les surfaces non modifiées par l’homme, telles que les forêts, prairies naturelles, zones humides, etc., et la surface totale de la zone considérée. Une étude menée par Alaux et al. (2017) a montré que le niveau de vitellogénine – un puissant antioxydant favorable à la longévité des abeilles – était significativement plus élevé dans des agrosystèmes céréaliers enrichis de couverts fleuris, impliquant une meilleure survie hivernale des colonies.

L'Indice d'Hétérogénéité Paysagère (IHP) évalue la diversité des types d'habitats présents dans un paysage et peut se calculer à l’aide de l’indice de Shannon. Un paysage diversifié avec différents types de cultures et une grande proportion en haies, bois, prairies, etc., fournit une variété d'habitats et de ressources disponibles tout au long de l'année : un élément important pour la résilience écologique des abeilles (Fahrig et al., 2015). Ces paysages présentent une moindre vulnérabilité aux perturbations et assurent une stabilité écologique accrue pour les pollinisateurs, ce qui offre des alternatives lorsque certaines ressources viennent à se raréfier.

Le Pourcentage de Cultures Mellifères (PCM) représente la proportion de parcelles cultivées avec des plantes mellifères, qui offrent des ressources abondantes en nectar et en pollen pendant leurs périodes de floraison. Il peut se calculer comme le ratio entre la surface de cultures mellifères et la surface agricole totale dans une zone donnée. Ces cultures offrent des ressources stratégiques pour les colonies d’abeilles, surtout dans les paysages agricoles intensifs où les surfaces avec de la flore spontanée sont limitées (Decourtye et al., 2010).

Les Pratiques Agricoles Durables (PAD) évaluent l’adoption de pratiques agricoles respectueuses des abeilles et jouent donc un rôle important en atténuant les impacts négatifs de l'agriculture intensive sur les colonies. L’indicateur peut se calculer grâce au ratio d’exploitations agricoles certifiées bio ou intégrant des mesures agro-environnementales par rapport au total des exploitations dans une zone donnée. Des pratiques telles que l'agriculture biologique réduisent l'exposition des abeilles aux pesticides tout en favorisant la biodiversité des habitats (Hole et al., 2005). Il en va de même pour les infrastructures agroécologiques comme les haies, bandes fleuries, talus, tournières, etc. Ces approches agricoles ne se contentent pas de soutenir la santé des abeilles ; elles renforcent également la qualité globale des écosystèmes, ce qui augmente leur résilience face aux pressions anthropiques et environnementales.

3. Ressources en eau

La Distance Moyenne aux Points d’Eau (DMPE) est un indicateur en faveur de l'efficacité énergétique des colonies. Il se calcul avec la moyenne des distances entre la zone d’intérêt et les points d’eau les plus proches. Moins la distance entre la ruche et le point d'eau est grande, moins les abeilles doivent dépenser d'énergie pour collecter l'eau nécessaire à leurs besoins. Cela est particulièrement important pendant les périodes de forte chaleur, lorsque les abeilles doivent intensifier leur activité de collecte d'eau pour maintenir la température interne de la ruche à un niveau stable (Nicolson, 2009). En réduisant les distances de vol, on diminue également la charge de travail imposée aux ouvrières qui se concentreront alors davantage sur le soin au couvain et le butinage de ressources florales.

La Qualité de l'Eau (QE) est également déterminante pour la santé des colonies. Une eau de mauvaise qualité, contenant des contaminants et substances toxiques, peut compromettre gravement la santé des abeilles et réduire la viabilité de la colonie (Samson-Robert et al., 2014). La qualité de l'eau influence donc directement la capacité des abeilles à maintenir un environnement sain à l'intérieur de la ruche.

La Densité de Points d'Eau (DPE) est un autre facteur important qui influence l'accès à l'eau pour les abeilles. Il peut se calculer comme le rapport entre le nombre de points d’eau et la surface totale considérée. Une densité élevée de points d'eau signifie que les abeilles ont un accès plus fréquent et plus facile aux ressources hydriques, ce qui augmente l'efficacité de la collecte et réduit le risque d’une dépendance à une unique source d’eau qui serait susceptible de s’assécher. Kühnholz et Seeley (1997) ont montré que la disponibilité de points d'eau supplémentaires dans l'environnement des ruches améliore l'efficacité de la collecte d'eau, en particulier en période de forte demande. Ils ont démontré que l'augmentation de la densité des points d'eau permet aux abeilles de mieux réguler la température interne de la ruche, ce qui contribue ainsi à leur résilience face aux variations climatiques.

4. Conditions climatiques

L'Indice Climatique Apicole (ICA) mesure l'adéquation des paramètres climatiques, tels que la température et les précipitations, à l'activité des abeilles. Pour la température, il peut se calculer à partir de la différence en valeur absolue entre la température moyenne annuelle optimale pour les abeilles (qui peut être fixée à 20°C par exemple) et la température moyenne annuelle réelle du site considéré, divisé par l’écart de température maximal acceptable (par exemple, 10°C). Idem pour le calcul des précipitations. Une température optimale est essentielle pour maintenir un niveau élevé d'activité de butinage et de productivité des colonies. De même, des précipitations adéquates favorisent non seulement la disponibilité des ressources florales, mais aussi la régularité de l'activité de butinage (Abou-Shaara, 2014). Une température qui dépasse ou reste en dessous de la plage optimale peut entraîner une réduction de l'activité de butinage et accroître le stress physiologique des abeilles, limitant leur capacité à assurer la récolte des ressources nécessaires à la colonie.

Le Nombre de Jours Favorables au Butinage (NJFB) correspond au nombre de jours par an où les conditions météorologiques permettent le butinage. Cela correspond au nombre de jours par an caractérisés par une température supérieure à 15°C, un vent inférieur à 15 km/h et une absence de précipitations (Decourtye et al., 2016). Plus le nombre de jours favorables est élevé, plus les abeilles peuvent maximiser la collecte de ressources florales, ce qui influe positivement la croissance des colonies et la production de miel (Vicens & Bosch, 2000).

L'Indice de Stabilité Climatique (ISC) évalue la stabilité des conditions climatiques au fil du temps. Il peut se calculer à partir des écarts-types des températures et précipitations sur une période donnée. Des variations extrêmes, telles que des périodes de sécheresse prolongée ou des précipitations excessives, peuvent provoquer un stress environnemental qui augmente la mortalité des abeilles et perturbe leur comportement de butinage. Une stabilité climatique accrue favorise une meilleure prévisibilité des périodes de butinage, permettant ainsi une gestion plus efficace des colonies (Le Conte & Navajas, 2008). Le Conte et Navajas ont souligné que les fluctuations climatiques extrêmes ont un effet négatif non seulement sur la capacité des abeilles à butiner, mais aussi sur leur résilience face aux maladies et aux parasites. Ainsi, un climat stable contribue à la réduction du stress des colonies et à l'amélioration de leur état sanitaire général.

Conclusion

Une diversité d'espèces florales assure un apport varié en nutriments à travers le pollen et le nectar, jouant un rôle important dans le développement et l'immunité des colonies. La diversité des habitats et la continuité des ressources florales influencent directement la nutrition et la résilience des abeilles, ainsi que leur capacité à maintenir une activité de butinage régulière. La présence des points d’eau, leur distribution dans l’espace, et la qualité de l’eau sont également des facteurs de résilience stratégiques pour les colonies. Enfin, les conditions météorologiques sont à considérer car elles conditionnent la présence de ces ressources alimentaires et leur usage par les abeilles.

Les autres facteurs documentés dans la littérature scientifique comme étant les plus importants pour la santé des populations d’abeilles, comme l’exposition à des produits chimiques toxiques et la pression des bioagresseurs (parasites, prédateurs), seront abordés dans la partie 2.

Note

[1] Un indicateur permet d’évaluer l’état d’un système complexe en fournissant des renseignements sur des variables plus difficiles d'accès.

Bibliographie

• Alaux, C., et al. (2010). Diet effects on honeybee immunocompetence. Biology Letters, 6(4), 562-565. OK

• Di Pasquale, G., et al. (2013). Influence of pollen nutrition on honey bee health: do pollen quality and diversity matter? PLoS ONE, 8(8), e72016.

• Requier, F., et al. (2015). The carry-over effects of pollen shortage decrease the survival of honeybee colonies in farmlands. Journal of Applied Ecology, 52(5), 1195-1205.

• Steffan-Dewenter, I., & Tscharntke, T. (2001). Succession of bee communities on fallows. Ecography, 24(1), 83-93.

• Brodschneider, R., & Crailsheim, K. (2010). Nutrition and health in honey bees. Apidologie, 41(3), 278-294.

• Alaux, C., Allier, F., Decourtye, A., Odoux, J.-F., Tamic, T., Chabirand, M., Delestra, E., Decugis, F., Le Conte, Y., & Henry, M. (2017). A ‘Landscape physiology’ approach for assessing bee health highlights the benefits of floral landscape enrichment and semi-natural habitats. Scientific Reports, 7, 40568

• Fahrig, L., et al. (2015). Farmlands with smaller crop fields have higher within-field biodiversity. Agriculture, Ecosystems & Environment, 200, 219-234.

• Decourtye, A., Mader, E. & Desneux, N. (2010) Landscape enhancement of floral resources for honey bees in agro-ecosystems. Apidologie 41, 264–277

• Hole, D. G., et al. (2005). Does organic farming benefit biodiversity? Biological Conservation, 122(1), 113-130.

• Nicolson, S. W. (2009). Water homeostasis in bees, with the emphasis on sociality. Journal of Experimental Biology, 212(3), 429-434.

• Samson-Robert, O., Labrie, G., Chagnon, M., & Fournier, V. (2014). Neonicotinoid-contaminated puddles of water represent a risk of intoxication for honey bees. PLOS ONE, 9(12), e108443

• Kühnholz, S., & Seeley, T. D. (1997). The control of water collection in honey bee colonies. Behavioral Ecology and Sociobiology, 41(6), 407-422.

• Abou-Shaara, H. F. (2014). The foraging behaviour of honey bees, Apis mellifera: a review. Veterinarni Medicina, 59(1), 1-10.

• Decourtye, A., et al. (2016). Fréquentation des cultures par les abeilles mellifères et sauvages : synthèse des connaissances pour réduire le risque d’intoxication aux pesticides. Cahiers Agricultures, 25(4), 44001.

• Vicens, N., & Bosch, J. (2000). Weather-dependent pollinator activity in an apple orchard, with special reference to Osmia cornuta and Apis mellifera. Environmental Entomology, 29(3), 413-420.

• Le Conte, Y., & Navajas, M. (2008). Climate change: impact on honey bee populations and diseases. Revue Scientifique et Technique, 27(2), 485-497.

Auteur : 

Saad Sebti - ITSAP-Institut de l'abeille

Contact : 

saad.sebti(a)itsap.asso.fr

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