La fécondation au clair de lune

Publié le 20/06/2022

Elevage et sélection

Fantasme ou option prometteuse ?

Contrôler la fécondation des reines est une des clés de l’amélioration de la génétique. L’insémination artificielle est idéale pour cela mais elle demande des compétences techniques. Une autre possibilité, est de favoriser des fécondations naturelles dans des lieux isolés, sur une ile ou dans une vallée encaissée, ce qui présente d’autres contraintes d’organisation. Lors des journées d’étude de l’ANERCEA, en février 2022, Jakob Wegener de l’Institut de Recherche Apicole d’Hohen Neuendorf a présenté le développement d’une nouvelle approche pour maitriser ces fécondations. Il s’agit d’une variante « technologique » de la méthode dite au clair de lune.

Cette nouvelle technique est en développement et les premiers résultats présentés ici restent sur des effectifs limités et ont été obtenus dans un contexte particulier. Cette méthode sera à comparer à celles déjà existantes en terme d’efficacité mais aussi en terme de couts et de facilité à la mise en œuvre. Les expériences présentées par Jakob Wegeneront été réalisées sur le rucher d’un apiculteur. Les mâles élevés étaient issus de la sous-espèce A.mellifera mellifera, dont la caractérisation génétique a été vérifiée. Ils se distinguaient des colonies aux génétiques variées, présentes dans l’environnement proche du rucher.

Jouer avec les variables : fécondations naturelles, au clair de lune, avec et sans réfrigération en journée

Trois modalités de fécondation ont alors été comparées à 3 reprises consécutives :

• Un groupe « de contrôle », composé de reines vierges, libres de réaliser leurs vols de fécondation dans la journée.

• Un deuxième groupe formé par des reines vierges dont les nucléis étaient placés dans une grande boîte fermée et réfrigérée durant la journée. Les reines pouvaient effectuer leur vol de fécondation en fin de journée uniquement, lorsque la boîte s’ouvrait.

• Le troisième groupe de reines vierges n’était libre de faire ses vols de fécondation qu’en fin de journée. Les nucléis restaient fermés sans être réfrigérés au cours de la journée. Des mécanismes automatiques géraient l’ouverture et la fermeture des entrées des nucléis.

A ces groupes, il faut ajouter deux reines « référentes », inséminées par un mélange homogénéisé de sperme, afin de permettre la comparaison avec une fécondation parfaitement contrôlée. Ces reines ont uniquement servi d’indicateurs pour la pureté des descendants.

Les périodes de vol des mâles ont été régulées grâce à un mécanisme d’ouverture et de fermeture automatique de l’entrée de la ruche. Durant la journée, les ruches à mâles restaient sur le rucher, avec une entrée sélective laissant passer uniquement les ouvrières. A une heure définie en fonction du retour des mâles environnants dans leurs ruches, vers la tombée de la nuit, l’entrée des ruches à mâles se décalait pour les laisser sortir.

Après chaque période de fécondation, 55 abeilles récemment émergées étaient prélevées pour subir des analyses morphométriques et permettre ainsi de caractériser le contrôle des fécondations. Ces analyses ont été menées en se fondant sur celles des reines inséminées dites « référentes ». La qualité des fécondations a été évaluée par la dissection de 6 à 11 reines issues des trois groupes et par l’évaluation de la quantité de sperme présent dans la spermathèque.

La réfrigération des nucléis en journée n’est pas indispensable

La réussite des fécondations sont similaires pour les reines fécondées durant la journée et les reines fécondées au clair de lune et qui n’ont pas été réfrigérées durant la journée. Chacun de ces deux lots a pu se prévaloir de 18 fécondations réussies sur les 24 reines. Le groupe des reines placées dans la boîte réfrigérée en journée a eu un taux de réussite similaire seulement à la troisième session. Lors des deux premières, les entrées des ruchettes de fécondation trop proches auraient induit un mauvais repérage des reines, incapables de retrouver leur colonie.

Après dissection des spermathèques, on est parvenu à la conclusion que la qualité des fécondations est la même pour l’ensemble des neuf lots. L’hybridation, évaluée par morphométrie, est significativement différente selon les trois modes de fécondation. En effet, les reines fécondées en journée ont une descendance plus hybridée que les reines fécondées au clair de lune. En revanche, environ un tiers de celles-ci ont également des descendants hybrides. Cela valide l’intérêt du décalage temporel pour d’avantage diriger les fécondations sans toutefois garantir la pureté des accouplements.

Renoncer à refroidir les reines en journée s’avère plus simple et moins onéreux. Cela laisse les butineuses travailler, ce qui permet d’éviter de nourrir les nucléis. Cependant, les colonies et de facto les reines sont exposées au risque d’une surchauffe durant la journée. Celle-ci peut entrainer une perte de fertilité du sperme, surtout dans le contexte d’un climat chaud.

Il semblerait enfin que les reines refroidies durant la journée mettent plus de temps à sortir pour effectuer leurs vols de fécondation une fois les entrées ouvertes, ce qui diminue leur chance de rencontrer des mâles. Pour éviter ce phénomène, il est souhaitable et recommandé de les ouvrir un peu plus tôt mais cela induira une moins bonne maitrise des fécondations.

S’équiper pour reproduire cette méthode

Cette étude a été réalisée selon des protocoles choisis pour être reproductibles par les apiculteurs.

Pour chaque ruche à mâle, l’entrée est divisée horizontalement en deux. Un panneau placé devant ferme alternativement une des deux parties.

Une grille à reine horizontale fixée dans la ruche empêche les mâles d’accéder à la partie inférieure. Un mécanisme programmable décale le panneau vers le bas libérant la partie haute de l’entrée, et ainsi les mâles, aux moments des fécondations.

Figure 1 : Dispositifs ajoutés aux ruches à mâles permettant d’alterner deux entrées dont l’une ne laissant sortir que les ouvrières durant la journée et cachant la lumière aux mâles.

Il en est de même pour les nucléis restant dehors durant la journée, auxquels on va ajouter au niveau de l’entrée un petit « labyrinthe » obstruant la lumière lorsque l’entrée bloque la reine durant la journée.

Figure 2 : Dispositifs ajoutés aux nucléis permettant d’alterner deux entrées dont l’une ne laissant sortir que les ouvrières durant la journée et obstruant la lumière pour les reines.

Le caisson de réfrigération est également reproductible à partir d’une boîte en polystyrène reliée par un tuyau à un réfrigérateur ménager dont le thermostat est programmable. Et les mécanismes d’ouverture et de fermeture automatiques utilisés pour les ruches à mâles, les nucléis et la boîte réfrigérante, sont disponibles dans le commerce. Le coût pour équiper quatre ruches à mâles et 10 nucleis de fécondation comportant des trous de vol à commande automatique est d’environ 230 euros. Pour les matériaux nécessaires à la construction de la boîte de refroidissement, utilisée pour le traitement du lot de reines réfrigérées en journée, il faut compter à peu près 500 euros. A cela, il faut ajouter les couts liés aux contraintes énergétiques, au suivi, à la fabrication, aux peuplements en abeilles etc.

Cette étude a été réalisée dans le cadre du stage d’Eduard Musin avec l’Association des Apiculteurs du Land de Brandebourg (LVBI e.V), l’Association Allemande des éleveurs de l’abeille noire (ZVDBD e.V.), avec le financement du ministère de l’agriculture allemand. Les plans de construction et le détail de la configuration de l’électronique peuvent être envoyés à toute personne qui en fait la demande à Eduard Musin (eduard.musin@hu-berlin.de).

Nous remercions J. Wegener de nous avoir autorisé à publier un résumé de son intervention.

Pour en savoir plus sur la publication d’origine, sur le matériel nécessaire et les modifications des ruches à préparer :

Eduard Musin, Kaspar Bienefeld, Hartmut Skerka & Jakob Wegener (2021): Delayed flight time of drones and queens as a method for mating control in small-scale honey bee breeding, Journal of Apicultural Research, DOI: 10.1080/00218839.2021.2006983

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