Diversité des pratiques de sélection apicoles en France

Publié le 22/04/2017

Elevage et sélection

Cette synthèse reprend les grandes lignes d’un état des lieux des pratiques de sélection apicoles françaises réalisé dans le cadre d’un stage de fin d’études d’ingénieur AgroParisTech effectué de mars à août 2016 au sein de l’ITSAP-Institut de l’Abeille.

L’apiculture française est une filière ayant connu de profondes transformations au cours des dernières décennies. Dans un contexte apicole où les contraintes et les enjeux sont multiples et changeants, la nécessité pour les apiculteurs d’avoir des abeilles répondant à leurs attentes est un enjeu capital.

Face à cette situation, des initiatives collectives ou individuelles de sélection apicole voient le jour depuis quelques années ; portées soit par des groupements spécialisés à des échelles nationales ou régionales (par exemple, le groupement des Producteurs de Gelée Royale, GPGR, ou l’AOP Miel de Corse), soit par des réseaux d’apiculteurs (formalisés ou non) ou des apiculteurs professionnels individuels ayant un important cheptel sur lequel ils ont mis en place une démarche de sélection. Pour l’heure, la sélection en apiculture n’a jamais fait l’objet de programmes structurés de grande ampleur ou de démarches centralisées en France.

GABI : Unité Génétique Animale et Biologie Intégrative de l’INRA, partenaire de l’ITSAP-Institut de l’abeille pour les questions liées à l’amélioration génétique des populations

Le travail d’appui de l’ITSAP-Institut de l’Abeille à certaines de ces démarches montre des résultats en progrès, même si les approches demeurent souvent très empiriques. L’ITSAP-Institut de l’Abeille et ses partenaires, notamment le département de Génétique Animale de l’INRA et en particulier ses unités Génétique animale et Biologie Intégrative (INRA Jouy-en-Josas) et Génétique et Physiologie des Systèmes d’Elevage (centre de Toulouse) sont porteurs de projets en recherche et développement visant à favoriser la sélection d’abeilles locales adaptées aux besoins des apiculteurs et, de ce fait, intéressés par une meilleure connaissance des schémas de sélection déjà en place.

Diversité des schémas de sélection

Les schémas de sélection étudiés en France recèlent une importante diversité, chacun ayant ses particularités. Chaque schéma a été conçu par un ou plusieurs apiculteurs en fonction de leurs priorités, de leurs objectifs et de leurs moyens.

Organisation

Deux types de schémas principaux peuvent être identifiés en France :

Certains groupements ou apiculteurs individuels particulièrement intéressés par les questions d’élevage et de sélection ont développé des programmes de sélection mettant en jeu plusieurs lignées. Ce type de fonctionnement permet de progresser sur différents axes en parallèle tout en maintenant une bonne diversité génétique. Il permet également d’apporter un contrôle sur la voie mâle par le biais de l’insémination. Chaque année, les meilleurs individus au sein de chaque lignée sont retenus pour devenir des reproducteurs.

Les reines filles sont accouplées avec des faux-bourdons issus soit d’une autre lignée, soit de la même lignée, en ayant éventuellement recours à l’insémination pour avoir un contrôle de la voie mâle.

D’autres apiculteurs individuels disposant d’un cheptel important et souhaitant conserver du temps pour d’autres activités (production de miel…) ont élaboré une sélection sur

Sélection massale : Sélection sur performances propres de l’individu (et non sur performances de ses apparentés, ascendants, germains ou descendants).

l’ensemble de leur cheptel, sans notion de lignées. Chaque année, les meilleures colonies sont utilisées pour le greffage et les filles sont accouplées dans l’environnement.

Dans tous les cas, la sélection est essentiellement pratiquée de manière massale, c’est-à-dire que les colonies sont évaluées sur la base de leurs propres performances.

Objectifs

La diversité des pratiques de sélection s’explique par plusieurs paramètres : le temps et les moyens financiers dont dispose l’apiculteur, son objectif de production (miel, gelée royale, reines, essaims…) et le type de sélection qu’il souhaite pratiquer (en fonction de ses connaissances techniques, de son éventuelle association avec d’autres apiculteurs au sein d’un collectif…). Ces paramètres vont avoir une influence forte sur la manière dont les performances propres des colonies sont évaluées : le nombre de critères mesurés, la fréquence de ces mesures et leur degré de précision.

Sélection par lignées ou sélection sur l’ensemble du cheptel, des objectifs et des critères très variables

Certains apiculteurs sélectionnant avant tout la productivité en miel vont se concentrer sur une pesée individuelle des récoltes (ou un comptage du nombre de cadres de miel ou de hausses remplies) en vue de retenir comme reproducteurs de l’année suivante les reines des colonies sur lesquelles ils auront récolté le plus de miel. D’autres apiculteurs vont évaluer plusieurs critères (figure 1), parfois près d’une dizaine (douceur, tenue au cadre, autonomie alimentaire, non-essaimage, aspects sanitaires, critères de résistance à varroa…). Leur règle de décision pour définir une bonne colonie sera alors soit de s’intéresser à un critère principal et de s’assurer que les autres critères ne présentent pas de valeur rédhibitoire, soit d’agréger les valeurs des différents critères sous forme d’un index (pondérant l’intérêt de chaque critère pour définir la qualité d’une colonie) selon lequel seront classées les colonies.

Figure 1 : Evaluation de paramètres sur des colonies

Pour un même objectif (par exemple, la production de miel), un apiculteur situé dans un environnement précoce n’emploiera pas les mêmes critères qu’un apiculteur visant des miellées tardives : le premier sélectionnera sans doute les colonies démarrant le plus tôt en saison (avec une population et un couvain très développés dès la sortie d’hivernage), le second des colonies restant autonomes jusqu’à l’arrivée de la miellée (hivernant en populations plus faibles et avec un développement plus lent au printemps). Sur le plan technique, les apiculteurs utilisent une grande diversité de moyens : recours ou non à l’insémination, utilisation ou non de nucléis…

Type d’abeilles utilisé

La sélection ne semble pas, dans le contexte français, s’accompagner de considérations raciales fortes, avec plutôt une tradition de conduite de cheptels hybrides, et peu d’intérêt visible pour l’abeille noire parmi les apiculteurs enquêtés. Peu d’apiculteurs réalisent des analyses morphométriques de manière poussée. La couleur est à la rigueur utilisée pour avoir des indications concernant l’environnement de fécondation Les abeilles sont en général décrites comme étant ‘de base caucasienne’ ou ‘ressemblant à de la ligustica’, ou désignées par le terme générique ‘Buckfast’. Les apiculteurs, lorsqu’ils désignent une origine génétique externe, mentionnent parfois l’identité de l’éleveur plutôt qu’un qualificatif de race. La productivité comme objectif prioritaire de sélection s’explique par les contraintes économiques pesant sur les apiculteurs professionnels en France.

Très peu de mesures morphométriques (mesures de conformité à des caractéristiques raciale)

Lien au collectif

Les acteurs rencontrés pratiquent la sélection en utilisant des approches différentes, cela se traduit également par des attentes et des perspectives différentes pour eux-mêmes et pour la filière. En général, les apiculteurs rencontrés pratiquant la sélection de manière individuelle ne sont guère attirés par une collectivisation de la démarche. Le travail au sein d’un collectif est souvent mentionné comme compliqué, du fait d’objectifs et de niveaux de compétences différents entre les apiculteurs. Cela peut néanmoins s’expliquer par des habitudes de fonctionnement prises depuis un certain nombre d’années, qui, pour les apiculteurs individuels, correspondent à l’optimum pour atteindre leur objectif. D’autres apiculteurs ne souhaitent pas forcément mutualiser des données avec les membres d’un collectif.

Progresser seul ou rejoindre un collectif ? Néanmoins, les apiculteurs mentionnent un intérêt pour la caractérisation de leur génétique : le niveau génétique sur leur exploitation est-il bon ou mauvais par rapport aux autres apiculteurs ? Le manque de repères, la difficulté de savoir ‘où on en est’ est rapportée par plusieurs sélectionneurs. Certains procèdent en échangeant des reines avec des collègues, ou en fournissant des reines à la station de testage des performances de l’ITSAP-Institut de l’Abeille. Ils se plaignent également de ne pas avoir de retours assez précis de la part de leurs clients (‘les reines étaient bonnes’), ou que ceux-ci sont parfois davantage attirés par des reines inséminées que par des reines performantes (l’insémination est perçue comme un ‘gage de qualité’, au-delà de l’origine génétique, et au-delà de la performance réelle de la reine…).

Lorsque les apiculteurs rencontrés estiment qu’il pourrait être intéressant de travailler de manière plus collective, cela serait par exemple le cas au sein de petites structures (de type CETA), qui permettent des échanges d’information et de génétique.

D’un point de vue des débouchés des produits de la génétique, l’association d’un sélectionneur avec un ou plusieurs multiplicateurs semble fonctionner dans plusieurs cas (avec éventuellement versement de commissions au sélectionneur sur la vente de reines de production).

Au sein des démarches collectives, les points à améliorer concernent essentiellement des aspects de communication (par exemple, les remontées d’informations entre testeurs et sélectionneurs…) et de logistique (transport/introduction de reproducteurs…). Une attention toute particulière portée à la standardisation des mesures et des résultats entre apiculteurs est par ailleurs nécessaire. S’ajoute à cela la difficulté de progresser ensemble à la même vitesse, vers un objectif commun, ce qui peut entraîner chez certains une frustration, ou le constat que l’on peut ‘avancer plus vite’ en travaillant seul. Le collectif est une force qui permet de mutualiser des moyens et d’augmenter les effectifs, mais il doit veiller à correspondre aux attentes de chacun des membres qui le composent.

Varroa et sélection

Principal parasite actuel de l’abeille et suspecté d’être à l’origine de nombreuses pertes de colonies, le varroa constitue un problème sanitaire récurrent pour les apiculteurs. Au sein d’un cheptel apicole, le degré d’infestation d’une colonie à l’autre peut parfois être très variable, laissant entrevoir des possibilités de sélectionner des abeilles résistantes à varroa.

Plusieurs apiculteurs français ont décidé d’inclure des paramètres liés à varroa dans leur démarche de sélection (figure 2).

Figure 2 : comptage de varroas dans le couvain

La difficulté actuelle concernant ce type de sélection est essentiellement le choix de critères à évaluer ; ceux-ci, pour être compatibles avec l’activité de l’apiculteur, devant être pertinents, simples et efficaces. La détection de marqueurs génétiques associés à une résistance à varroa fait l’objet du projet de recherche BeeStrong, où l’ITSAP-Institut de l’Abeille et l’INRA sont partenaires de l’entreprise de sélection animale Evolution et de sa filiale Labogena. L’objectif pour Evolution sera, à terme, de développer des solutions techniques pour améliorer la sélection contre varroa, éventuellement à l’aide d’une démarche de sélection dédiée à la production de reproducteurs résistants à varroa, ou par des prestations de service de génotypage de colonies. Certains apiculteurs se disent prêts à fournir du matériel biologique comme support d’étude pour de telles démarches.

Conclusion

Parmi les pays européens, la situation française reste singulière, en l’absence d’encadrement centralisé de la sélection apicole et de gestion de la dimension raciale (pas de herdbook). Cette singularité peut sans doute s’expliquer par la place importante qu’occupent les apiculteurs professionnels dans le paysage apicole français, en comparaison avec d’autres pays voisins (Allemagne, Suisse…). Pour ces mêmes raisons, la productivité reste l’enjeu majeur de la sélection en France, le plus souvent indépendamment de toute considération de pureté raciale.

La mutualisation des moyens, l’évaluation des performances et de nouveaux axes de sélection (résistance à varroa…) constituent des défis majeurs pour la filière, en vue de fournir aux apiculteurs français des reines élevées localement et adaptées aux conditions apicoles rencontrées en France.

Auteurs : 

Matthieu Guichard, Benjamin Basso

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