Comment évaluer les colonies candidates ?

Publié le 23/11/2022

Elevage et sélection

Durant la saison apicole, les apiculteurs.rices-sélectionneurs.ses s’attèlent à la mesure des performances de leurs colonies. Sur la base de ces données, ils devront faire l’épineux choix de celles susceptibles de produire les reines et les mâles de la génération suivante. Pour ce choix, différentes méthodes d’analyses de données peuvent être utilisées.

La démarche de sélection génétique consiste à identifier et choisir les individus reproducteurs afin d’espérer observer une amélioration des performances au sein de leurs descendants. Cette démarche va courir sur plusieurs générations d’abeilles, en appliquant une pression de sélection suffisante pour obtenir un progrès génétique tout en minimisant les pertes de diversité génétique pouvant donner lieu à des phénomènes de consanguinité.

Le testage, un point clé de l’amélioration génétique

Au démarrage du processus, il s’agit de définir un ou des objectifs de sélection : la recherche de colonies autonomes en cas de disette par exemple. A partir de là, on identifie les caractères biologiques mesurables, alors appelés critères de sélection, permettant de progresser vers l’atteinte de cet objectif, Pour illustration, la capacité à faire des réserves de miel dans le corps en périphérie du couvain peut être retenu comme l’un d’entre eux. On établit ensuite, pour chacun de ces critères, un protocole afin de pouvoir évaluer de façon standardisée l’aptitude des individus à correspondre à l’objectif, c’est la phase dite du « testage ». Pour reprendre le même exemple de l’autonomie alimentaire recherchée des colonies, cela peut consister à fixer des notes précises en fonction de la surface de couronnes de miel autour du couvain à un moment fixé de la saison. L’expression des caractères dépend des conditions environnementales. Une colonie « économe » ne montrera pas ses aptitudes si elle n’est pas confrontée à une période de disette. La plupart des caractères dépendent d’une multitude de gènes aux effets variables et de leurs interactions entre eux. Certains gènes peuvent en effet, être présents dans le génome mais ne pas s’exprimer.

L’évaluation des colonies estime la pertinence de propager le génome porté par les reproducteurs à la génération de descendants. Pour cela, il faut dans un premier temps regarder les performances propres des colonies candidates à la sélection. Celles-ci indiquent ce que ses gènes peuvent exprimer dans le cas précis de leurs conditions environnementales. Sélectionner en ne tenant compte que des performances propres s’appelle la « sélection massale ». Pour améliorer la robustesse du classement des colonies candidates à la sélection, on peut considérer les performances des colonies apparentées (ancêtres, sœurs ou descendantes). Cela permet d’en savoir plus sur le génome de la candidate dont l’expression est dépendante des conditions environnementales ou des interactions spécifiques du génome de la colonie candidate.

Le BLUP, une méthode d’accompagnement pour le choix des reproducteurs

L’intégration de l’ensemble des données de performance cumulées sur plusieurs générations avec les connexions généalogiques rend l’optimisation des analyses complexe. Pour cela, il est possible de travailler avec un modèle mathématique particulier permettant de considérer simultanément la généalogie des individus et les facteurs environnementaux. Il s’agit du BLUP pour Best Linear Unbiaised Predictor (en français, « Meilleure Prédiction Linéaire non Biaisée ») proposé par Henderson (1976). A partir des données de performance de l’ensemble des apparentés, celui-ci fournit pour chaque colonie, une valeur d'élevage qui permet d'estimer le potentiel d'amélioration des descendants. Le poids des observations des apparentés dans l’évaluation de la colonie dépend de la proximité généalogique.

Depuis plusieurs décennies, de nombreuses filières animales utilisent cette méthode BLUP dans le cadre de leurs travaux de sélection. En Europe et en Amérique du Nord, des initiatives ont vu le jour pour adapter cette méthode aux spécificités de l’abeille. En France, les chercheurs de l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAe) travaillent à optimiser et ajuster aux spécificités des schémas apicoles français une méthode de calcul d’apparentement proposée à l’origine par les scientifiques de Wageningen et dont la fiabilité est cruciale pour l’estimation des valeurs génétiques. L’ITSAP-Institut de l’abeille s’associe à INRAe, l’UMT PrADE et le SYSAAF (Syndicat des Sélectionneurs Avicoles et Aquacoles Français), spécialiste de la sélection génétique des animaux, pour mener un vaste projet de transfert et développement de la méthode BLUP en apiculture afin d’en tester l’utilisation.

Au cours de l’automne et l’hiver 2022 et 2023, INRAe accompagnera les ingénieurs du SYSAAF et de l’ITSAP-Institut de l’abeille en les formant à l’utilisation du BLUP Abeille. L’intégration de cet outil dans la filière s’appuiera sur des discussions avec des porteurs de projets-pilotes de sélection, des sélectionneurs ou sélectionneuses à échelle individuelle ou collective. Il sera alors possible d’étudier la pertinence d’une telle méthode pour ces plans de sélection. Parallèlement, un groupe consultatif formé d’acteurs et actrices de la sélection sera créé pour prendre en compte la grande diversité des démarches existantes. Les échanges avec ces professionnels permettront de comprendre le fonctionnement actuel de la sélection, les limites des jeux de données pour l’utilisation pertinente du BLUP et les possibilités d’optimisation ;

Dans un second temps, l’objectif sera d’accompagner les acteurs de la sélection dans leurs travaux. Ces derniers resteront maitres des grandes étapes du plan de sélection ainsi que propriétaires de leurs données. Ils pourront obtenir des indicateurs tels que des index génétiques combinant les valeurs d’élevage pour chaque caractère selon les pondérations choisies mais aussi des estimations d’héritabilité, des estimations de progrès génétique et des propositions d’accouplement.

De toute évidence, ces travaux sur l’analyse des données de sélection avec la méthode « BLUP abeille » promettent de belles perspectives. Il est enthousiasmant de participer à l’adaptation de cette méthode de sélection à la situation française !

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