Analyse de l’authenticité du miel de lavande

Publié le 04/03/2025

Qualité des produits

Des anomalies mises à jour

Dans le cadre d’une étude sur la qualité du miel français, des incohérences de résultats ont été observées dans l’analyse du miel de lavande-lavandin. Ce miel aux spécificités reconnues, et faisant l’objet d’une dérogation pour son taux de saccharose, a déjà nécessité d’adapter plusieurs méthodes d’analyse existantes. En cause aujourd’hui, le critère « différence max », calculé dans l’analyse LC-IRMS.

A la suite d’alertes données par plusieurs acteurs de la filière apicole, l’interprofession InterApi a commissionné et financé un projet de trois ans sur l’étude de la qualité du miel français et la fiabilité des analyses. Ce projet, mené par l’ITSAP-Institut de l’abeille, en collaboration avec le réseau des ADA, a démarré en juin 2023.

Le miel de lavande-lavandin est un miel reconnu pour ses qualités et ses spécificités. Il fait l’objet d’une dérogation dans la directive 2001/110/CE relative au miel pour son taux de saccharose qui dépasse généralement les 5%, mais doit rester inférieur à 15%. Son taux de diastase peut être bas, ce qui le classerait dans la catégorie des miels naturellement pauvres en enzymes. Enfin, ce miel est faible en pollen et le pollen de lavande est généralement sous-représenté[1].

L’analyse de l’authenticité du miel de lavande s’avère donc compliquée du fait de ces spécificités et des incohérences ont été constatées ces dernières années, qui concernent plusieurs méthodes d’analyse. L’analyse du profiling RMN-1H[2] avait fait l’objet d’une étude spécifique en 2021-2022, en collaboration entre l’ADAPI et plusieurs laboratoires, afin d’enrichir les bases de données et d’améliorer l’analyse de ce miel. Ce travail a porté ses fruits ; en témoigne la cohérence des résultats obtenus depuis. En 2023 et 2024, des incohérences répétées sur l’analyse LC-IRMS[3] ont été identifiées sur des miels de lavande-lavandin produits en Provence.

Données : leur source et un point de méthode

Dans le cadre du projet qualité mené par l’ITSAP-Institut de l’abeille, 60 échantillons, dont 20 de miel de lavande produits en Provence en 2024, ont été passés au crible. Ils ont fait l’objet d’un suivi rigoureux de la traçabilité de chaque ruche par l’ADAPI : pratiques apicoles, emplacements, circuits de transhumance, périodes de nourrissement, quantités consommées et enfin, types de produits utilisés. Pour prélever les échantillons, la première hausse de chaque ruche a été extraite manuellement. Ceux-ci ont été envoyés à 6 laboratoires de référence en France et en Europe afin d’y analyser différents critères de qualité, en mettant l’accent sur les analyses d’adultération : validation de l’appellation botanique grâce aux analyses mélissopalynologiques, sensorielles et critères physico-chimiques, taux d’hydroxyméthylfurfural, diastase, invertase, EA-IRMS , LC-IRMS, profiling RMN-1H, oligosaccharides.

Les analyses ont été distribuées entre les laboratoires et faites à l’aveugle, c’est-à-dire sans communiquer la traçabilité en amont.

De plus, la coopérative Provence Miel a partagé des données issues de 51 fûts de miel de lavande de 2023. Les zones de production, les périodes de nourrissement, les quantités et les types de produits sont également connus. Le suivi a été effectué à l’échelle du rucher. Ces échantillons ont été analysés par profiling RMN-1H, par EA-IRMS[4] et par LC-IRMS au sein d’un laboratoire accrédité COFRAC sur l’ISO 17025. Le plan d’analyse suit deux étapes : un « échantillon moyen » est constitué en prélevant du miel dans plusieurs fûts. Si l’échantillon initialement constitué est non-conforme aux analyses, chaque fût est ensuite étudié individuellement. Les fûts pour lesquels celui-ci est jugé authentique n’ont pas fait l’objet d’un examen individuel.

Pour quels résultats ?

Sur le set de données collecté par l’ITSAP-Institut de l’abeille, les 20 échantillons sont tous conformes aux analyses oligosaccharides et EA-IRMS. L’analyse RMN ne détecte des sucres exogènes que dans un échantillon. Sur ces trois analyses, les résultats sont globalement cohérents entre les laboratoires et vis-à-vis de la traçabilité.

On observe des détections d’adultération à l’analyse LC-IRMS pour 4 échantillons dans le laboratoire D, avec des résultats situés dans la zone d’incertitude de mesure, et 7 échantillons dans le laboratoire C. Ces résultats ne concordent pas entre laboratoires.

Parmi les échantillons non-conformes, les échantillons 1 à 4 sont issus du même rucher et ont reçu des quantités proches en sucre de nourrissement. Pourtant, seul le premier est jugé authentique, tandis que les autres ont des résultats variables selon le laboratoire. Les échantillons 6 à 20 concernent tous des ruches ayant eu une récolte de châtaignier entre le dernier nourrissement et le début de la miellée de lavande. Pour certains, comme le 11 et le 14, le dernier nourrissement est intervenu très tôt en saison, début février. Ils sont pourtant non-conformes à l’analyse LC-IRMS.

Sur le set de données collecté par Provence Miel, l’examen des résultats fût par fût montre que tous sont conformes aux analyses EA-IRMS et RMN, alors que 27 fûts, soit 53%, ne passent pas l’analyse LC-IRMS.

Pour 73% de ces échantillons jugés adultérés, le résultat se situait dans la zone d’incertitude de la mesure. Sur ces 27 fûts, 6 n’ont reçu aucun nourrissement en 2023, et 14 sont issus de ruchers ayant eu une récolte intermédiaire entre le dernier nourrissement et le début de la miellée de lavande.

Les limites des analyses IRMS

L’analyse EA-IRMS se base sur la mesure du ratio isotopique du carbone des sucres et des protéines présentes dans le miel, et la différence entre ces deux mesures. Dans la méthode LC-IRMS, la chromatographie liquide permet dans un premier temps de séparer les différentes fractions de sucre du miel (fructose, glucose, disaccharides, trisaccharides, oligosaccharides), avant de mesurer le ratio isotopique de chacune. Plusieurs critères sont alors calculés : la différence fructose-glucose (le critère « F-G ») et la différence maximum entre la mesure de ratio isotopique la plus basse et la plus élevée parmi les fractions de sucres (le critère « différence max » ou « delta max »).

Les analyses EA-IRMS et LC-IRMS présentent toutefois des limites qui ont été documentées par plusieurs auteurs, et peuvent donner des résultats faux-positifs, c’est-à-dire des échantillons dont le résultat d’analyse non-conforme est erroné, pour certains types de miels aux profils atypiques. De nombreux faux-positifs ont par exemple été observés pour l’analyse du miel de manuka en Nouvelle-Zélande[5], le miel d’agrumes aux Etats-Unis[6] ou encore le miel de mezquite produit au Mexique. Les miels ayant naturellement une teneur faible en protéines ou un taux important de levures pourraient également être l’objet de faux-positifs à l’analyse EA-IRMS.

Concernant la LC-IRMS, la valeur maximale fixée à ± 2.1‰[7] pour le critère « différence max » est discutée et n’est pas appliquée uniformément par tous les laboratoires. Certains étendent cette limite en y ajoutant l’incertitude de mesure, ce qui peut entraîner des conclusions différentes d’un laboratoire à l’autre. Une méthode a récemment été proposée pour la prise en compte de cette incertitude dans l’évaluation de la pureté du miel[8].

Dans le cas du miel de lavande-lavandin, un travail avait déjà été mené en 2017 par plusieurs laboratoires pour adapter la LC-IRMS aux miels naturellement riches en saccharose. Des différences élevées étaient observées entre le ratio isotopique des disaccharides et des monosaccharides, ce qui entrainait de nombreux cas de faux-positifs. Par conséquent, les laboratoires écartent désormais les disaccharides du calcul du critère « différence max » pour ce type de miel.

Dans la présente étude, pour les deux sets de données, nous observons que 100% des non-conformités proviennent de l’analyse LC-IRMS. Elles sont toutes en lien avec le critère « différence max », et c’est le résultat des trisaccharides qui est à l’origine du delta élevé pour 100% des cas, les disaccharides ayant déjà été écartés du calcul.

Pour conclure

Sur la base des résultats de cette étude analysant les miels de lavande-lavandin produits en Provence et de la traçabilité connue de chaque échantillon, nous pouvons estimer que les non-conformités obtenues sont des cas de faux-positifs. L’analyse LC-IRMS ne parait pas adaptée à l’examen de ce type de miel. Compte-tenu de l’état des connaissances actuelles et pour éviter un trop grand nombre de résultats biaisés, nous préconisons pour le moment de mettre de côté la LC-IRMS et de se baser sur les autres méthodes existantes pour évaluer son authenticité. De nouvelles analyses sont prévues sur la production 2025.

Le travail en collaboration avec les laboratoires a déjà fait ses preuves pour adapter l’analyse profiling RMN-1H. Il est nécessaire de poursuivre les efforts d’amélioration des méthodes et de suivre l’impact de l’évolution de la miellée de lavande sur les résultats des mesures d’analyse isotopique, afin de mieux comprendre la source des incohérences constatées et harmoniser les critères de conformité de cette analyse.

C’est en partie l’objet du travail mené par le JRC[9] dans le cadre du projet HarmHoney pour harmoniser les méthodes d’analyse, auquel l’ITSAP-Institut de l’abeille et le réseau des ADA ont contribué en envoyant des échantillons de miel authentiques et tracés.

Notes

    [1] Loublier, Y., Piana, M.-L., Pham-Delègue, M.-H., Bomeck R. (1994). “Caractérisation pollinique des miels français de lavande: premiers résultats . » Grana 33: 231-238.

    [2] Résonance Magnétique Nucléaire. L’analyse dite « profil RMN » consiste à comparer le profil de l’échantillons à une base de données.

    [3] Chromatographie liquide couplée à une spectrométrie de masse à rapport isotopique.

    [4] Analyseur élémentaire couplé à une spectrométrie de masse à rapport isotopique.

    [5] Grainger, M. N. C. (2022). "C4 sugar adulteration methodology: Understanding false-positive results for mānuka honey." Food Chemistry Advances 1 : 100128.

    [6] White, J. W. and F. A. Robinson (1983). "13C/12C Ratios of Citrus Honeys and Nectars and Their Regulatory Implications " Journal of AOAC International 66(1): 1-4.

    [7] Elflein, L. and Raezke, K.-P. (2008). “Improved detection of honey adulteration by measuring differences between 13 C/12 C stable carbon isotope ratios of protein and sugar compounds with a combination of elemental analyzer - isotope ratio mass spectrometry and liquid chromatography - isotope ratio mass spectrometry (δ13 C-EA/LC-IRMS)” Apidologie 3: 574-587.

    [8] Ulberth, F., Aries, E., De Rudder, O., Kaklamanos, G., Maquet, A. (2024). « Purity assessment of honey based on compound specific stable carbon isotope ratios obtained by LC-IRMS” Journal of AOAC International 107(5) : 884-887.

    [9] Joint Research Center : Centre commun de recherche de la Commission européenne.

Autrice : 

Héloïse Descotes-Genon (ITSAP)

Relecteurs : 

Cécile Ferrus (ITSAP), Emilie Tourlet (ADAPI), Patrick Molle (InterApi), Alban Maisonnasse (Provence Miel)

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